En Mai 1994, Timothy Bates, un éminent professeur d’économie de la WAYNE STATE UNIVERSITY de Detroit (Michigan), publie une étude indépendante qui met à mal l’argument marketing phare utilisé par les franchiseurs pour séduire les entrepreneurs en herbe, selon lequel le taux de réussite en franchise serait supérieur à 80% et serait supérieur au taux de réussite des entreprises isolées.
Voici une traduction de la synthèse, du préambule, des parties I et II ainsi que de la conclusion de cette étude.
« Les entreprises franchisées ont un taux de défaillance supérieur à celui des entreprises isolées »
Synthèse :
En choisissant de devenir franchisé, les entrepreneurs en herbe s’attendent avec certitude à accroître leurs chances de survie au cours des premières années d’activité. Rejoindre un réseau de franchise permet aux franchisés de bénéficier de l’assistance de la tête de réseau, de mobiliser des financements et de vendre plus facilement en utilisant la marque du franchiseur. La présente étude s’intéresse aux modèles de survie des entreprises franchisées et non-franchisées créées de 1984 à 1987 et suit leur évolution jusqu’en 1991. Malgré les effets d’échelle et leur meilleure capitalisation, les entreprises franchisées s’avèrent avoir une rentabilité plus faible et des perspectives de survie moins bonnes que celles des entreprises indépendantes.
Préambule :
Le programme de recherche du Center for Economic Studies ou CES (Centre pour les Études Économiques) produit un large éventail d’analyses économiques théoriques ou empiriques qui servent à améliorer les programmes statistiques de l’U.S. Bureau of the Census (Bureau américain du Recensement). Beaucoup de ces analyses prennent la forme de travaux d’études. Les communications issues de ces travaux permettent de diffuser les résultats des recherches réalisées par le CES vers les économistes ainsi que d’autres personnes intéressées. Leur but est d’encourager la discussion et d’obtenir des suggestions en vue d’une révision avant une publication officielle des résultats des travaux d’études. Les communications sont officieuses, elles ne sont donc pas validées par le Bureau of the Census. Les opinions et les conclusions exprimées dans les communications sont celles de leurs auteurs et ne représentent pas nécessairement celles du Bureau of the Census. La reproduction de tout ou partie de ces études doit se faire en accord avec leurs auteurs.
I. Introduction
Les personnes qui se mettent à leur compte en créant une entreprise franchisée croient généralement augmenter les chances de survie de leur entreprise durant les premières années d’exploitation. En effet, d’après l’opinion commune, la franchise est un pari sûr. Il est temps de remettre en cause cette opinion.
Un relevé national des personnes travaillant à leur compte en 1987 constitue la base de données analysée dans cette étude. Un échantillon de 20 554 jeunes sociétés a été constitué à partir d’une base de données de l’U.S. Bureau of the Census appelée Characteristics of Business Owners ou CBO et réunissant des données statistiques sur les entrepreneurs américains. Toutes ces sociétés ont été passées en revue fin 1991 pour déterminer les pourcentages de survie. À la fin de 1991, 34,7% des entreprises franchisés et 28% des entreprises indépendantes actives en 1987 avaient cessé leurs activités. D’autres comparaisons montrent que les jeunes entreprises indépendantes sont significativement plus rentables que les jeunes entreprises franchisées. En d’autres termes, les personnes qui, pour se mettre à leur compte, créent leur entreprise en franchise échouent plus souvent et gagnent moins d’argent que celles qui se lancent en indépendant.
Cette étude évalue les effets de plusieurs caractères statistiques dont certains sont liés aux dirigeants et d’autres au fonctionnement des jeunes entreprises franchisées ou indépendantes. Après avoir contrôlé ces caractères statistiques, on a eu recours à des équations de régression logistique afin d’isoler l’impact du caractère “franchise” sur les perspectives de survie des sociétés. Les sociétés les plus aptes à survivre sont en majorité celles qui sont les mieux capitalisées, qui sont dirigées par des patrons ayant obtenu un diplôme universitaire et travaillant à plein temps dans leur entreprise. A facteurs constants, le caractère “franchise” influe de manière très négative sur les perspectives de survie des entreprises. Des analyses séparées portant sur des échantillons plus petits d’entreprises indépendantes et d’entreprises franchisées appartenant à des personnes issues des minorités ethniques révèlent que les modèles de survie des sociétés détenues par ces personnes sont sensiblement équivalents aux modèles de survie de l’ensemble des petites entreprises : les jeunes entreprises franchisées ont plus de risques de cesser leur activité que les jeunes entreprises indépendantes.
II. Élaboration des modèles de survie des jeunes petites entreprises : quelques remarques sur les données
La plupart des informations relatives aux taux de survie des entreprises franchisées provient de la presse. Par exemple, dans un article paru récemment dans Business Week, on pouvait lire « un franchisé a quatre fois plus de chance de réussir qu’un entrepreneur créant une entreprise indépendante », sans qu’aucun argument ne vienne étayer cette déclaration. A l’inverse, un article, publié dans le numéro de février 1994 du magazine McCall’s, affirme que 50,7% des franchisés Decorating Den’s ont cessé leur activité entre le 1er janvier 1990 et le 31 décembre 1992. Decorating Den est un franchiseur qui s’est développé de manière spectaculaire pendant les années 80; ses franchisés investissent entre $17,000 et $50,000 pour créer leur entreprise. Comme on peut le voir, le taux de survie des entreprises franchisées a souvent fait l’objet de déclarations contrastées.
Le but de cette étude est d’élever le débat. Une base de données nationale dédiée aux petites entreprises et gérée par le Census Bureau – la base de données CBO – a rendu possible l’analyse rationnelle et détaillée des questions de survie des entreprises franchisées.
Les données CBO analysées dans cette étude ont été compilées par l’U.S. Bureau of the Census en 1992. La base de données CBO a été constituée à partir de la population des personnes ayant rempli une déclaration fédérale d’impôts sur les sociétés en 1987, incluant 1) l’annexe C, formulaire 1040, 2) le formulaire 1065 et 3) le formulaire 1120s. Les entrepreneurs femmes ou issus des minorités ont été suréchantillonnés de même que les petites entreprises employant des salariés. Des descriptions détaillées des données CBO sont publiées dans Nucci (1992) et Bates (1990b). Sur approximativement 90 000 petites entreprises interrogées pour créer la base de données CBO, plus de 70% ont répondu. Toutes les données statistiques utilisées dans cette étude sont pondérées pour tenir compte 1) des non-réponses au sondage, et 2) de l’échantillonnage non aléatoire effectué par le Census Bureau à la création de la base de donnée : les entreprises décrites dans cette étude sont donc représentatives des jeunes entreprises qui ont fait un chiffre d’affaires d’au moins $5000 en 1987 et qui ont rempli une des déclarations d’impôts mentionnées plus haut.
Cette étude s’intéresse exclusivement aux sociétés créées entre 1984 et 1987. Les unités analysées sont des entreprises et non des personnes. Ainsi, cette étude porte sur une population de 4 005 561 petites entreprises. Une description de l’échantillon CBO de jeunes sociétés analysées ci-dessous est publiée en annexe.
L’échantillon des entreprises franchisées analysés ici n’est pas identique à la population des entreprises franchisées créées entre 1984 et 1987 pour plusieurs raisons. D’abord, parce que certaines entreprises franchisées appartiennent au franchiseur. Ensuite, parce que certaines nouvelles unités franchisées sont des filiales de holding multi-franchisées créées avant 1984. Et enfin parce qu’une jeune holding multi-franchisées détenant plusieurs entreprises franchisées localisées dans différents endroits ne sera prise en compte qu’une fois, car l’unité d’analyse considérée est la société. Ainsi, le taux d’échec de l’ensemble des nouvelles unités franchisées opérationnelles en 1987 et crées entre 1984 et 1987 peut différer du taux de fermeture annoncé dans cette étude.
III. CHARACTERISTICS OF FRANCHISE AND INDEPENDENT YOUNG FIRMS
…
IV. LOGISTIC REGRESSION ANALYSIS OF SMALL BUSINESS LONGEVITY
…
V. ANALYSIS OF MINORITY-OWNED BUSINESS
…
VI. Conclusion
Dans les quelques travaux de recherche empirique sur la franchise existants que j’ai consultés, je n’ai trouvé aucun élément relatif au taux de survie des entreprises franchisées qui contredise de quelque manière que ce soit les conclusions de la présente étude.
La plupart des études traitant de ce sujet s’intéressent au fonctionnement des franchiseurs plutôt qu’à celui des franchisés : cf par exemple, Rubin (1978) et Norton (1988). La première évaluation directe du taux d’échec national des entreprises franchisées apparaît dans une étude de Castrogiovanni, Justis et Julian (1993). Ces derniers constatent que le taux d’échec annuel pour l’ensemble des franchisés se situe autour de 4%.
Les taux d’échec des entreprises franchisées les plus élevés rapportés ici ne sont pas incompatibles avec l’étude de Castrogiovanni, Justis et Julian. En effet, les opérations de régression logistique montrent clairement et systématiquement que le taux de survie augmente avec l’âge des sociétés.
Une convergence à long terme du taux annuel d’échec de 4 % pour les entreprises franchisées de tout âge est certainement cohérent avec un taux d’échec beaucoup plus élevé pour de très jeunes entreprises franchisées.
La littérature spécialisée sur la petite entreprise a maintes fois démontré que le taux d’échec diminue avec l’ancienneté des entreprises (Jovanovic, 1982; Evans, 1987; Bates et Nucci, 1989; Bates, 1990a).
De futures recherches devront étudier les raisons fondamentales qui font que les taux de survie des jeunes entreprises franchisées sont inférieurs aux taux de survie des entreprises indépendantes. Une cause possible des faibles performances des entreprises franchisées réside dans les coûts spécifiques à cette forme d’organisation qu’est la franchise : droits d’entrée, redevances d’exploitation, redevances publicitaires, … etc.
Ces coûts, payés par le franchisé au franchiseur, sont en fait la contrepartie de services que le franchiseur est censé apporter au franchisé (utilisation de la marque, assistance, …). Les coûts de ces services ne sont-ils pas surévalués par rapport aux bénéfices qu’ils procurent ?
Une autre voie à explorer est le tempérament des entrepreneurs qui choisissent de devenir franchisés plutôt que de créer une entreprise indépendante. Les franchisés ont-ils une aversion au risque particulièrement prononcée ? Les franchisés ont-ils des caractéristiques particulières dont ne rendent pas compte les types de variables (l’éducation, l’expérience du management) analysées dans cette étude ? Finalement, les franchises ont tendance à se développer dans des domaines extrêmement spécifiques que les catégories sectorielles examinées dans les tableaux 3 et 6 de cette étude représentent mal. Peut-être des marchés comme la restauration rapide sont-ils simplement arrivés à saturation, contraignant les jeunes franchisés à générer des profits bien inférieurs aux profits générés par les franchisés les ayant précédés. Le programme des hypothèses à examiner est long et varié.