Depuis plusieurs décennies, les franchisés signent leur contrat convaincus que créer une entreprise en franchise est beaucoup moins risqué que de la créer « en solo ». En 2010, nous nous sommes mis en quête des études qui étayent cet argument sans en trouver aucune ! Cet été, nous avons découvert un document officiel américain datant de 1992 expliquant qu’il ne reposait sur aucune étude sérieuse.
Fin 2010, nous avions publié plusieurs articles remettant en question cet argument et questionné sans succès la FFF pour savoir sur quelles études il reposait. En 2017, nous avons à nouveau interrogé la FFF sur le taux de réussite en franchise sans plus de succès.
Récemment, nous avons trouvé le compte-rendu des auditions sur la franchise devant la Commission de la Chambre des Représentants chargée des petites entreprises intervenues les 17 juin et 21 juillet 1992 (dans le cadre de la deuxième session du 102ème Congrès).
Nous proposons ci-dessous une traduction de la note de service destinée à éclairer la Commission sur les recherches relatives aux échecs et aux succès dans la franchise.
Consulter l’intégralité du rapport de la commission (la note de service traduite ci-dessous figure en page 142).
***
Congrès des Etats-Unis
Chambre des Représentants
102ème Congrès
Commission chargée des Petites Entreprises
…
NOTE DE SERVICE
DESTINATAIRES : président John J. LaFalce
OBJET : Recherches et données sur le secteur de la franchise / Informations générales pour les auditions sur les « Nouvelles recherches sur la franchise »
I. Manque de données fiables sur les performances en franchise
Au cours de ces dernières années, plusieurs articles universitaires ont constaté le manque de données fiables sur la franchise en général et l’absence de recherche empirique sur les taux de réussite des franchisés en particulier. En 1987, le ministère du Commerce a cessé de recueillir des données à l’échelle nationale sur les franchises. Depuis, la plupart des études menées par des chercheurs indépendants ont tenté de réexaminer ces données collectées par le ministère ou se sont concentrées sur des réseaux de franchise en particulier ou sur des franchisés opérant sur des zones limitées.
Une étude récente menée par deux professeurs de l’Université d’État de l’Oklahoma a tenté de passer en revue et de classer toutes les recherches universitaires publiées sur la franchise. Les auteurs ont constaté un manque « inquiétant » de recherche sur le fonctionnement des réseaux de franchise, une lacune qu’ils ont décrite comme « inexcusable étant donné l’importance croissante de la franchise » (Elango & Fried). L’étude a également révélé que « peu de travaux empiriques » avaient été réalisés pour mesurer les niveaux de réussite des franchisés afin de déterminer si la franchise tendait à favoriser ou à entraver la croissance des petites entreprises.
Dans une publication plus ancienne, deux professeurs de marketing de l’Université d’État de l’Arizona ont passé en revue les recherches publiées sur les taux de réussite et d’échec des entreprises franchisées. Ils ont conclu « que les informations sur les échecs en franchise étaient véritablement lacunaires » (Walker & Cross). Décrivant le manque total de données tant « quantitatives » que « qualitatives », les auteurs soulignent non seulement « qu’il est difficile (en fait, impossible) de trouver des statistiques qui soient issues d’examen systématique à grande échelle sur les défaillances en franchise » mais qu’en plus « les données et les enquêtes à grande échelle analysant les causes des échecs en franchise sont quasi-inexistantes ».
[page 143]
Selon cette publication, « malgré le manque de statistiques fiables, on entend dans les conférences et on lit dans la presse de nombreuses déclarations sur les échecs en franchise, et en particulier, sur le faible taux d’échec des franchisés ». Et les auteurs de conclure « qu’en l’absence de statistiques sérieuses, il apparaît que les données sur les échecs en franchise ont été fabriquées, mal utilisées, détournées et manipulées ».
D’autres auteurs qui ont analysé les recherches portant sur les échecs en franchise expriment des préoccupations similaires sur le manque de données fiables. Ils déplorent en outre la confusion et l’utilisation abusive des statistiques disponibles qui en découlent. « L’une des caractéristiques les plus difficiles à évaluer en matière de franchise est le taux d’échec » (Hadfield). Un autre document fait remarquer que « différents analystes ont produit des estimations très différentes du taux d’échec global en franchise » et qu’il existe « un désaccord assez important sur le taux d’échec entre les franchisés et entre les franchiseurs eux-mêmes » (English & Willems).
L’éditeur d’un guide sur la franchise constate que « les seules données disponibles relatives au succès des franchisés sont manifestement erronées, mal utilisées, orientées et devraient être actualisées et modifiées de manière rigoureuse » (Bond). Un autre auteur, tout en affirmant la nécessité de « réexaminer » les données disponibles pour répondre à la question de savoir si créer une entreprise en réseau est moins risquée que de la créer hors réseau, reconnaît que les données disponibles sur les échecs des franchisés sont « à peine plus fiables » que celles recueillies lors des premières études sur le succès des franchises tentées 15 ans plus tôt (Padmanabhan).
II. Statistiques les plus fréquemment mises en avant sur les échecs/succès des franchisés
Trois chiffres ou ensemble de chiffres sont abondamment mis en avant par les franchiseurs pour assurer leur propre promotion ou par l’International Franchise Association (IFA) pour promouvoir la franchise avec pour objectif de montrer que les franchisés ont des taux de réussite extrêmement élevés :
(1) 3 à 5% des franchisés échoueraient chaque année ;
(2) 1% des franchisés échoueraient la première année et seulement 5% échoueraient sur cinq ans ;
(3) un graphique présentant les « taux de réussite à long terme » montrant que 90% des franchisés réussissent à échéance de dix ans contre seulement 18 à 20% des entrepreneurs isolés.
[page 144]
Ces chiffres très utilisés ont plusieurs défauts. Non seulement ils ont tendance à se contredire les uns les autres, mais, comme expliqué ci-dessous, ils sont basés sur des informations incorrectes ou, dans le meilleur des cas, incomplètes ou inappropriées.
A. Un taux de réussite en franchise de 95% à 97%
Les statistiques les plus fréquemment citées sur la franchise sont celles qui prétendent montrer que seulement 3% ou 5% des franchisés échouent ou, inversement, que 95% ou 97% des franchisés réussissent. Ces chiffres sont associés aux données recueillies par le Ministère du Commerce américain dans le cadre d’enquêtes annuelles réalisées auprès des franchiseurs et publiées dans des rapports bisannuels intitulés « Franchising in the Economy ».
L’analyse de ces rapports permet d’affirmer qu’aucun chiffre indiquant des taux d’échec ou de réussite de franchisés n’y est mentionné. Au contraire, ils précisent que « le nombre d’échecs est inconnu » (Franchising in the Economy, 1986-1988, page 11).
En revanche, les enquêtes mentionnent le nombre de points de vente en franchise que les franchiseurs déclarent avoir « supprimés ». Une franchise « supprimée », par opposition à une franchise en échec, fait généralement référence à une entreprise ou un point de vente qui a été physiquement fermé suite à la défaillance du franchisé ou à la décision du franchiseur de se retirer de la zone de marché. Le nombre de franchises « supprimées » était évalué entre 3% et 5% par an pendant la période couverte par les enquêtes du ministère.
Mais les points de vente supprimés peuvent ne représenter qu’une partie du nombre de franchises qui échouent. A propos de ces 5%, un analyste explique : « les points de vente franchisés en difficulté disparaissent rarement. Ils sont souvent revendus au franchiseur ou à un autre opérateur à un prix dérisoire » (O’Donnell). « Ce chiffre de 5% ne prend pas en compte le nombre de franchisés qui ont échoué et dont le point de vente a été racheté soit par un autre franchisé, soit par le franchiseur » (Boroian).
D’autres analystes ont relevé des défauts similaires dans les données du Ministère du Commerce et dans leur utilisation par les franchiseurs pour promouvoir le faible taux d’échec en franchise. Dans les statistiques du ministère, « ni les résiliations, ni les non-renouvellements de contrat ne sont considérés comme des échecs » (English & Willems). « Un point de vente repris par un autre propriétaire est présumé ne pas être un échec » (Walker & Cross). « Du point de vue du franchisé », la revente de son point de vente « peut être considérée comme un échec, alors que du point de vue du Ministère du Commerce, ce n’est pas le cas » (Boe).
[page 145]
Les chiffres du Ministère ont également été critiqués pour des raisons plus générales liées au fait qu’ils reposent exclusivement sur des informations fournies par les franchiseurs sans aucune analyse ni contrôle indépendants. Selon certains analystes, ces chiffres sont d’autant plus contestables que d’une part « les statistiques globales sont basées sur les données que les franchiseurs choisissent de communiquer » (Walker & Cross) et que d’autre part, ils sont issus d’enquêtes menées auprès « d’un petit groupe de franchiseurs et non pas de l’ensemble des franchiseurs » (Boe).
B. Un taux d’échec en franchise de 1%
Une deuxième série de chiffres largement utilisés sont ceux affirmant que seuls 1% des franchisés échouent chaque année et que, par conséquent, seulement 5% d’entre eux échouent après cinq ans d’exploitation. Ces chiffres sont également attribués aux statistiques du Ministère du Commerce. Une fois de plus, un examen des enquêtes publiées tous les 2 ans par le Ministère du Commerce ne permet de trouver aucune statistique sur le taux d’échec de points de vente franchisés ou de franchisés.
Ce que ces enquêtes mentionnent en revanche, ce sont des chiffres relatifs aux défaillances de franchiseurs signalées au cours des dernières années où les enquêtes ont été menées, soit 78 en 1986 et 104 en 1987. Le nombre de franchiseurs défaillants en 1987, par exemple, représentait 4,7% du nombre total de franchiseurs recensés dans l’enquête. Et si l’on mesure la part du CA réalisé par les points de vente franchisés des réseaux défaillants dans le CA réalisé par l’ensemble des réseaux de franchise, le pourcentage est encore plus bas. Ce CA « perdu » par les points de vente franchisés des réseaux défaillants représente environ 1% du CA réalisé par le secteur (Franchising in the Economy, 1986-1988, page 12). De 1973 à 1987, ce manque à gagner s’est maintenu de manière relativement constante à 1%.
C’est le seul endroit où le terme « échec » apparaît dans les enquêtes du Ministère du Commerce. Nous insistons sur le fait que ce chiffre de 1% ne prétend à aucun moment mesurer les échecs des points de vente franchisés ou des franchisés, mais uniquement le « CA perdu » par les franchisés affiliés à des franchiseurs dont on sait qu’ils ont échoué (comme on va le voir ci-dessous, chaque année, un grand nombre d’autres franchiseurs ont également été signalés comme ayant « cessé d’utiliser » la franchise pour se développer, mais ni leurs franchisés ni leur CA n’ont été pris en compte dans ce calcul).
C. Etude comparative des taux de réussite à long terme
Le troisième ensemble de chiffres qui a été largement employé pour promouvoir la franchise est présenté dans le « tableau des taux de réussite des entreprises » qui vise à comparer sur une période de dix ans les taux de réussite déclarés des entreprises franchisées avec les taux de réussite des entreprises isolées. Selon ce tableau, seuls 3% des entreprises franchisées échouent au cours de la première année d’exploitation, 6% au cours des deux premières années, 8% au cours des cinq premières années et 10% au cours des dix premières années. En revanche, le taux d’échec des entreprises isolées en phase de démarrage est de 38% la première année, 57% la deuxième année, 77% après cinq ans et de 82% au bout de dix ans.
[page 146]
Des versions du tableau des taux de réussite qui ont commencé à circuler en 1987 et 1988 désignent le Ministère du Commerce et la Small Business Administration comme étant leur source de données. Mais, aucun de ces organismes n’a jamais produit de chiffre ressemblant de près ou de loin à ces taux. En ce qui concerne les chiffres relatifs aux échecs en franchise, il est possible que les taux d’échec utilisés aient été simplement extrapolés à partir des données décrites précédemment, le taux de 3% relatif aux franchises « supprimées » mentionné dans les enquêtes a été utilisé pour représenter le taux d’échec en franchise des deux premières années, le taux de 1% correspondant au CA « perdu » par les franchiseurs défaillants a lui été utilisé pour représenter le taux de « réussite » de 90% sur dix ans.
Les versions précédentes de ce tableau mentionnaient essentiellement les mêmes données, mais citaient comme source, des auditions menées en 1978 par une sous-commission de la commission des petites entreprises de la Chambre des Représentants et publiées sous le titre « The Future of Small Business in America ». La seule référence à la franchise dans les auditions apparaît dans le témoignage du Conseil Législatif des petites entreprises, une coalition dont faisait partie l’International Franchise Association. Les témoignages font référence à des données attribuées à l’IFA, selon lesquelles « environ 70 à 90% » des personnes qui créent leur entreprise de manière isolée « cessent leur activité » au cours des dix premières années, et « 51 à 57% » au cours de la première année. En revanche, toujours selon ce témoignage, « moins de 2 à 4% des établissements franchisés auraient fermés » (The Future of Small Business in America).
[page 147]
Aucun chiffre comparable sur les faillites d’entreprises isolées n’apparaît dans le témoignage de la Small Business Administration. Au contraire, dans son témoignage, l’administrateur de la SBA, Vernon Weaver, reconnaît que l’agence ne disposait d’aucune donnée ni sur la « longévité » des actionnaires, ni sur l’âge des entreprises en faillite. La SBA a fourni des données provenant d’études réalisées par Dun and Bradstreet sur une sélection d’entreprises ayant échoué, montrant que « environ 55% échouent au cours des cinq premières années d’activité, et environ 27% pendant les trois premières années ». Là encore, il ne s’agit que de pourcentages concernant des groupes d’entreprises identifiées comme ayant fait faillite, et non de l’ensemble des entreprises isolées.
Un certain nombre de chercheurs ont essayé de retrouver les données utilisées pour établir les tableaux des taux de réussite, mais sans grand succès. Dans une étude on peut lire « En raison de l’absence de référence, il est impossible de retrouver les sources précises des statistiques relatives aux taux de réussite et d’échec. Lorsque l’on parvient à trouver des sources, elles renvoient elles-mêmes à d’autres sources, comme une audition de la sous-commission du Congrès » (Walker & Cross). Un autre chercheur a expliqué qu’il « n’était pas parvenu à reproduire » les taux d’échec extrêmement faibles des franchisés par rapport à ceux des non-franchisés qui sont mentionnés dans les tableaux en utilisant les données de Dun et Bradstreet ou celles du Ministère du Commerce (Balkin).
III. La franchise comme investissement « sans risque »
Ces trois taux de réussite sont utilisés séparément ou de manière combinée pour présenter la franchise comme permettant de réussir uniformément et quasiment sans risque. Selon un analyste, ces chiffres sont utilisés « pour dire aux candidats à la franchise que la franchise est un bon investissement … que les chances d’être toujours en activité cinq ans plus tard sont très élevées en franchise » ( English & Willems).
Ces taux ont également été employés avec beaucoup d’efficacité pour dissimuler l’absence de données objectives et fiables sur les échecs en franchise. Ils ont permis au secteur de revendiquer un taux élevé de réussite sans rencontrer aucune objection et aux franchiseurs d’afficher un faible taux d’échec dans leurs documents marketing « alors que le taux d’échec de leurs propres franchisés était bien plus élevé » (Rager).
Bien qu’elle soit communément admise, l’idée que le taux de réussite des entreprises franchisées est beaucoup plus élevé que celui des entreprises isolées ne repose sur aucune étude sérieuse. L’examen des recherches disponibles sur les échecs en franchise par Walker et Cross a révélé d’une part « l’utilisation abusive et répandue de termes tels que échec et turnover » et d’autre part que « les statistiques habituellement utilisées étaient basées sur des informations non confirmées ou issues de méthodes d’évaluation contestables ». Les chercheurs ont conclu « qu’il n’était pas possible de déterminer de manière indiscutable si le taux d’échec des franchisés était plus faible (ou plus élevé) que celui des entrepreneurs isolés » (Walker & Cross).
[page 148]
Les recherches menées par English et Willems sur le taux d’échec dans la restauration n’ont pas non plus permis d’étayer la nette supériorité du taux de réussite des restaurants franchisés sur celui des restaurants non-franchisés. Lorsque les chercheurs ont constaté des taux de réussite initiaux plus élevés parmi les franchisés, ils ont généralement remarqué que ce phénomène était lié à d’autres facteurs, comme le niveau plus élevé de capitalisation initiale et de dépenses de publicité, niveaux souvent imposés aux franchisés. Ils concluent que ces « autres facteurs influent davantage sur le taux de réussite que la réplication d’un concept de franchise » (English & Willems ).
La Federal Trade Commission a également conclu « qu’il y a peut-être moins de différence qu’on ne le pense généralement » entre le taux de réussite des franchisés et celui des entrepreneurs isolés. Lors de son témoignage devant la Commission l’année dernière, la FTC a présenté le taux d’échec de 5% attribué au Ministère du Commerce comme « une sous-évaluation » qui n’a « jamais pris en compte les échecs cachés » des franchisés qui revendent ou abandonnent simplement leur franchise. La FTC a également cité des études récentes sur les entreprises isolées montrant que « leur taux d’échec ne dépasse pas 27% après trois ans ou 9% par an » (Cutler).
L’inexactitude et le détournement des données disponibles sur les échecs en franchise sont récapitulés dans une lettre adressée à la Commission par l’éditeur d’un annuaire des réseaux de franchise. Cette lettre décrit comment de nombreux franchiseurs sont parvenus à dissimuler le nombre considérable de leurs franchisés qui, pour de multiples raisons, n’ont pas réussi à être rentables. Dans la mesure où ces franchisés ont pu revendre à moitié prix leur entreprise à un « plus gros pigeon » ou au franchiseur, ils n’étaient pas considérés comme ayant échoué dans les relevés. Pour le grand public, qui voit seulement le réseau grossir, ces franchisés et le franchiseur apparaissent comme ayant réussi …
Cette dissimulation est rendue plus facile par l’existence des statistiques sur la réussite des franchisés (i.e. un taux d’échec de 5% sur 5 ans) injustement attribuées au Ministère du Commerce. A nouveau, l’échec est exclusivement défini par la fermeture du point de vente. Les points de vente revendus, cédés ou dont la faillite n’a pas été formellement déclarée, etc ne sont pas pris en compte. Tant qu’un magasin reste ouvert, il n’est pas vu comme un échec, il est au contraire considéré, à des fins commerciales, comme un succès.
[page 149]
Tout ça permet au secteur de la franchise d’utiliser cette statistique très persuasive pour faire croire au public en général et aux candidats à la franchise en particulier, que « le succès est presque garanti quand on crée une entreprise en franchise » (Bond).
IV . La problématique de l’échec chez les franchiseurs
Si les enquêtes du Ministère du Commerce n’apportent guère d’éléments pour étayer les allégations sur le niveau extrêmement bas du taux d’échec des franchisés, ils fournissent en revanche des informations sur le taux d’échec des franchiseurs qui soulèvent de sérieux doutes sur la réalité du taux de réussite des franchisés.
A. Les données du Ministère du Commerce sur les franchiseurs
Les données, recueillies dans le cadre des enquêtes du Ministère du Commerce, sur les franchiseurs qui ont échoué ou qui ont renoncé à la franchise ont très peu été commentées. Ces enquêtes présentent le nombre annuel de franchiseurs défaillants connus, associé à un second chiffre généralement plus élevé, le nombre annuel de franchiseurs qui « ont abandonné la franchise comme mode de développement commercial » sans préciser ce que signifie « défaillant » et « abandon ». Le fait est, comme le conclut une analyse sur le sujet, que de nombreux abandons pourraient être considérés comme des défaillances « même s’il ne s’agit pas de défaillances au sens d’une cessation d’activité consécutive à des résultats financiers non satisfaisants » (Walker & Cross).
Le nombre total de franchiseurs ayant fait faillite ou ayant abandonné la franchise, publié dans les enquêtes annuelles, est important : 125 en 1985, 183 en 1986 et 184 en 1987. Il est probable que le nombre de franchiseurs ayant échoué soit encore plus élevé, car, comme l’a fait remarquer un analyste, les enquêtes du Ministère du Commerce ne semblent pas avoir pris en compte beaucoup de nouveaux et petits franchiseurs (Boe). Quoiqu’il en soit, le nombre total de franchiseurs ayant fait faillite ou ayant abandonné la franchise sur les 15 années couverte par les enquêtes du ministère est de 1 711, soit 44% du nombre total de franchiseurs comptabilisés jusqu’en 1987.
Cela soulève des questions sur ce que sont devenus les franchisés affiliés à près de la moitié des réseaux pris en compte dans les enquêtes du Ministère du Commerce. Combien ont réussi en tant qu’entreprises isolées ? Ces franchisés ont-ils été comptabilisés comme des échecs ?
Les enquêtes du Ministère du Commerce ne répondent pas à ces questions. Elles semblent plutôt avoir minimisé l’importance du nombre élevé de sorties de franchiseurs (par abandon ou faillite), comme indiqué précédemment, en ne prenant en compte qu’une estimation du CA des franchisés issus de réseaux connus pour avoir fait faillite et en le rapportant au CA de l’ensemble des réseaux afin de constater une faible perte (1%). Cette minimisation du taux annuel élevé de franchiseurs sortants a conduit un groupe de chercheurs à conclure que « le Ministère du Commerce ne se préoccupait apparemment pas du taux d’échec des franchiseurs » (Walker&Cross).
[page 150]
B. Sur les traces des échecs des franchiseurs après 1987
Bien que le Ministère du Commerce ait cessé ses enquêtes nationales sur les franchiseurs en 1987, certains éléments donnent à penser non seulement que le taux élevé d’échec des franchiseurs s’est maintenu, mais qu’il s’est accéléré au cours des 5 dernières années poursuivant ainsi la tendance observée par les experts au milieu des années 80 (Kreisman).
Même si l’International Franchise Association n’a pas spécialement cherché à dénombrer les franchiseurs qui cessent leurs activités chaque année, l’un de ses porte-paroles aurait déclaré l’année dernière « environ 8 à 10% de franchiseurs répertoriés par l’Association disparaissent chaque année » (Reynolds). Ce chiffre est très proche du taux de franchiseurs ayant fait faillite ou ayant abandonné la franchise mentionné dans les enquêtes réalisées par le Ministère du Commerce au milieu des années 80.
La comparaison des classements annuels de plus de 1 000 franchiseurs par le magazine Entrepreneur en 1987 et en 1992 montre que près de 70% des réseaux évalués et classés par le magazine en 1987 n’apparaissent pas en 1992. Bien que tous les franchiseurs manquants n’aient pas nécessairement fait faillite, un nombre important d’entre eux ont probablement cessé leurs activités ou quitté la franchise.
Par ailleurs, l’enquête menée à l’automne 1991 par le cabinet d’audit Arthur Andersen & Co en collaboration avec l’International Franchise Association auprès de franchiseurs soulève d’autres questions. Le cabinet a commencé par recenser tous les franchiseurs cités dans les listes fournies par l’IFA, les revues spécialisées, les communiqués de presse et d’autres sources. Après leur avoir envoyé plusieurs courriers, le cabinet a déclaré n’avoir pu identifier « de manière indéniable » que 2022 franchiseurs « actifs » (Franchising in the Economy).
Le nombre de franchiseurs « reconnus actifs » qui ressort de cette enquête mérite attention dans la mesure où il est inférieur au nombre total de franchiseurs en activité (2 177) relevé par le Ministère du Commerce cinq ans plus tôt, en 1986. Entre 1986 et 1991, des centaines de nouveaux concepts de franchise et de nouveaux franchiseurs sont apparus sur le marché chaque année.
Il existe également des preuves permettant d’affirmer que de nombreux franchiseurs ne figurant pas sur ces listes ont fait faillite. Après examen des documents comptables des franchiseurs du « top 10 » opérant dans différents secteurs d’activité, les consultants du cabinet Rubinoff-Rager Inc ont estimé que « 25% des franchiseurs analysés … sont techniquement en défaut de paiement » (Rager). Lors de son témoignage devant la Commission en 1991, le régulateur de la franchise de l’État de l’Illinois faisait remarquer que « la situation financière globale » des franchiseurs s’enregistrant pour recruter des franchisés dans l’état de l’Illinois s’était « détériorée » durant l’année 1990. A tel point que 38% de ces franchiseurs avaient dû fournir des garanties financières du fait de leur « capacité financière insuffisante » pour respecter leurs obligations à l’égard des franchisés (Saunderson).
[page 151]
En l’absence de données fiables, il est seulement possible de se demander ce qu’il est advenu du grand nombre de franchiseurs qui ont disparu de ces listes. Combien de ces entreprises ont fait faillite ? Et que sont devenus les franchisés affiliés à ces franchiseurs ?
V. Évaluation du taux d’échec en franchise
Si l’on cumule le nombre de franchisés affiliés à des franchiseurs ayant fait faillite ou ayant abandonné la franchise, le nombre de franchisés déclarés comme « ayant quitté » les réseaux de franchiseurs actifs, le nombre de franchisés qui ont résilié leur contrat, été repris ou rachetés par leur franchiseur et le nombre de franchisés qui ont revendu leur entreprise à d’autres franchisés, le total est susceptible d’être considérable. Il est clair que ce total sera bien plus élevé que les 3 ou 5% « d’échec » revendiqué annuellement par le secteur de la franchise.
Dans le cadre de leurs recherches sur le taux d’échec des franchisés opérant dans d’importants réseaux de franchise, les consultants de Rubinoff-Rager ont étudié les documents d’information de plusieurs de ces réseaux sur une période de 3 ans. Dans les conclusions préliminaires de ces recherches, ils mentionnent un taux d’échec de 30 à 40% (Rager). Ce taux n’est pas très différent des taux annuels d’échec et de turnover signalés par Walker et Cross en 1988. Il est est à peine supérieur (sur une base annualisée) à l’estimation de Patrick Boroian, président de la société de conseil en franchise Francorp Inc, qui déclarait en 1990 que « le nombre réel d’échecs chaque année est probablement de 10% » (Boroian).
D’autres analystes ont utilisé une approche différente (…) pour parvenir à des estimations assez comparables des taux de réussite des franchisés. Rupert Barkoff, président du Forum sur la franchise de l’American Bar Association, a estimé que pour un réseau de franchise typique, « probablement au mieux, un tiers des franchisés se porte très bien, un tiers a des problèmes financiers et un tiers équilibre ses comptes » (Barkoff). Une étude récente sur les franchisés du réseau Pak Mail réalisée par un cabinet indépendant, Franchise Analysis Inc, a révélé des pourcentages quasi identiques à ceux cités par Barkoff pour les franchisés qui ont soit gagné de l’argent, soit atteint le seuil de rentabilité, soit échoué, sauf que seul un quart des franchisés de Pak Mail semble avoir pu tirer plus qu’un revenu minimal de leur exploitation (Hadder).
[page 152]
L’éditeur de guides de la franchise Robert Bond utilise un indicateur de réussite un peu plus global pour évaluer les niveaux potentiels de succès et d’échec des franchisés. Tout en notant que « la perspective d’échec peut être considérablement réduite » avec une franchise, il ajoute « mon sentiment est que le succès, défini en termes de satisfaction des attentes réalistes du franchisé, n’est probablement pas supérieur à 40% (et non 95%) sur cinq ans, ce qui est encore bien supérieur au taux de réussite des entrepreneurs isolés » (Bond).
***
Franchising In the Economy 1971-1973
Franchising In the Economy 1972-1974
Franchising In the Economy 1973-1975
Franchising In the Economy 1984-1986
Franchising In the Economy 1985-1987
Franchising In the Economy 1986-1988
Future of Small Business in America, part 1
Future of Small Business in America, part 2