Collaboratrice au journal Le Monde, Valérie Segond vient de publier « Va-t-on payer pour travailler ? » chez Stock. Un livre qui aborde sans langue de bois des conditions dans lesquelles les candidats à la franchise signent leur contrat.
Rodolphe Galy-Dejean (RGD) : Vous venez de publier « Va-t-on payer pour travailler » chez Stock. Comment vous est venue l’idée de ce livre ? Quel était votre objectif au travers de cet ouvrage ?
Valérie Segond (VS) : Pendant 20 ans, j’ai répété comme journaliste économique que le coût du travail était cher en France, et que le Code du Travail empêchait nos entreprises de s’adapter. Puis je me suis mise à rencontrer beaucoup de personnes dont le salaire était subventionné, ou dont les heures supplémentaires n’étaient pas payées, ou qui avaient basculé du statut de salarié à celui de travailleur indépendant, voire d’auto-entrepreneur, etc. En clair, beaucoup de personnes dont le coût effectif du travail pour l’employeur était clairement inférieur au coût officiel. Aussi, me suis-je demandée jusqu’à quel point ce discours sur le coût du travail en France était vrai. Et j’ai voulu comprendre par quels mécanismes les employeurs, qu’ils soient entreprises, organismes publics, associations ou particuliers, faisaient baisser le coût du travail, et si ces mécanismes étaient ou non pris en compte dans le coût du travail officiel. Mon objectif n’a été que partiellement atteint, car si j’explique par de nombreux exemples empruntés à la vie réelle, comment on abaisse le coût du travail dans un système réputé cher et rigide, je n’ai pu faire une évaluation globale du travail low cost. En effet, certains travailleurs sont à la fois chômeurs ou retraités et auto-entrepreneurs, etc. En clair, on ne peut faire une addition du travail low cost en France en additionnant tous les travailleurs concernés par les mécanismes dont je parle dans le livre, car il y a des doublons partout. La seule chose que l’on peut dire c’est que, loin d’être un phénomène marginal, cela concerne des millions d’actifs en France. En clair, de cette enquête, il ressort qu’il y a en France, à la fois un coût du travail élevé, et d’innombrables niches sociales qui permettent aux plus malins de le faire baisser.
RGD : Pourquoi avoir parlé de la franchise dans un livre consacré au coût du travail pour les employeurs ?
VS : Car la franchise est devenue la forme d’emploi recherchée par les cadres qui se sont fait licencier. Quand ils pressentent qu’ils auront le plus grand mal à trouver un emploi, ils envisagent la franchise comme une solution. C’est un emploi qu’ils y cherchent, en rêvant de devenir véritablement autonomes dans un environnement encadré. La franchise, qui est une vieille formule, est devenue une voie d’accès au travail à part entière dans un monde qui valorise l’entrepreneuriat. Dans un pays où les cadres licenciés bénéficient d’indemnités élevées au regard des autres pays européens, la franchise prospère sur le chômage de ces cadres qui sont prêts à tout, y compris à payer pour travailler, pour retrouver un emploi. Et l’on voit de jeunes sociétés faire payer des droits d’entrée exorbitants aux candidats à la franchise sans avoir un historique d’activité qui pourrait le justifier : la création d’entreprise en franchise est devenue un vrai filon pour des franchiseurs peu scrupuleux.
RGD : Dans le chapitre 12 de votre livre, vous évoquez les pratiques contestables d’un réseau sans le nommer. Pourquoi ?
VS : Tous les cadres au chômage reconnaitront ce réseau de franchise, qui mène un recrutement très agressif sur les jobboards, comme les sites Cadremploi.fr, Monster.fr ouApec.fr, et bien sûr, lors des différents salons de la franchise. Avec une « méthode de séduction » éprouvée que je décris minutieusement dans le livre. Mais tous ceux qui sont allés à la « journée de sélection » organisée par ce franchiseur, ont signé dès leur arrivée un engagement de confidentialité sur tout ce qui leur est présenté durant cette journée. De fait, ils craignent de témoigner sous leur nom car ils croient que ce papier a une valeur juridique. Ils ignorent qu’il n’a, en fait, aucune valeur juridique parce qu’il n’y a, dans les informations délivrées aux candidats, ni secret de fabrication, ni savoir-faire confidentiel à protéger. Mais force est de constater que cet engagement les maintient dans la peur, et le silence. Pour les franchisés qui, découvrant tôt ou tard qu’il n’y a pas de marché, c’est différent. Car pour suspendre avant le terme du contrat le paiement des redevances auquel ils se sont engagés, ils signent eux aussi un engagement de confidentialité, et ils sont tenus par leur contrat. Dit autrement, s’ils disent la vérité à l’extérieur, ils courent le risque que le franchiseur leur réclame en justice les redevances qu’ils ont cessé de verser. Sur plusieurs années, cela peut faire des sommes très importantes. C’est un mécanisme redoutablement efficace que les têtes de réseau utilisent pour empêcher les franchisés de s’exprimer librement.
Aussi si j’ai rassemblé un nombre suffisant de témoignages pour comprendre le fonctionnement de ce réseau, tant du côté des candidats que de celui des franchisés, je n’ai pu le faire que parce que la plupart – pas tous il est vrai – tenaient à rester dans l’anonymat. Je n’étais donc pas certaine qu’en cas de poursuites par le franchiseur, tous les témoins qui m’avaient parlée acceptent de témoigner à la barre. Un certain nombre d’entre eux était disposé à le faire. Mais la justice aurait-elle considéré ce nombre suffisant pour dénoncer tout un système ? Il y avait un risque que mon éditeur n’a pas voulu courir. C’est en s’assurant le silence des franchisés que les franchiseurs comme celui sur lequel j’ai enquêté, dissimulent l’absence de rentabilité de leur concept, et qu’ils arrivent à recruter. En France, les candidats à la franchise n’ont donc aucun moyen de connaître la réalité des affaires dans les réseaux de franchise, de savoir ce que représentent véritablement les chiffres d’affaires qui leurs sont présentés avant de signer. D’ailleurs, le réseau n’a pas voulu répondre à mes questions malgré mes deux sollicitations.
RGD : Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans votre enquête sur la franchise ? Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?
VS : J’ai été surprise de voir à quel point l’information sur la franchise était contrôlée par les franchiseurs, qui, quelle que soit la nature des relations avec leurs franchisés, trouvent toujours le moyen de les présenter à leur avantage. Les informations données dans le fameux DIP sont incroyablement lacunaires : ce document ne contient aucune donnée sérieuse sur la réalité du business qui permettrait aux candidats de signer en connaissance de cause. Rien ne permet au candidat d’établir un plan prévisionnel réaliste. S’il ne trouve rien de solide sur quoi s’appuyer dans le DIP, il n’est guère aidé par ailleurs, car il n’y a clairement pas d’expertise indépendante sur la réalité économique des franchisés dans les réseaux de franchise. Il manque en particulier le chiffre d’affaires médian réalisé par les franchisés année après année. Quant à la presse spécialisée sur le sujet, elle se révèle, à l’étude, plus une presse de publi-reportages que d’information. Cette absence d’information fiable est une grave lacune qui fait de la franchise un environnement peu sûr pour les futurs franchisés, qui n’ont pas les moyens de faire de contre-enquête sur ce qui leur est dit. Et ce d’autant que certains réseaux, comme celui que j’analyse dans le livre, paient les franchisés pour qu’ils témoignent de manière positive devant les candidats à la franchise qui les interrogent. Même les données publiées par la Fédération Française de la Franchise sont si orientées qu’elles ne permettent pas aux candidats de comprendre ce qui se passe réellement dans le monde des réseaux. C’est tout le système de l’information qui est biaisé, car totalement contrôlé par les franchiseurs. Et cela, les candidats novices n’ont pas les moyens de le savoir. Et la justice ne s’en émeut que rarement.
RGD : Pourquoi selon vous les candidats à la franchise devraient lire votre livre ?
VS : Parce qu’ils ont tous en commun d’avoir envie que ça marche, ce que l’on comprend très bien d’ailleurs. Qui ne rêve pas d’être son propre employeur avec l’aide d’une belle enseigne ? Mais dans leur enthousiasme, ils sont facilement aveuglés par tout ce qui leur est présentés. Ceux qui sont passés par là reconnaissant tous leur part de naïveté dans leur mésaventure. Lire « Va-t-on payer pour travailler ? » les conduira à considérer l’aventure avec la prudence nécessaire avant d’engager leurs indemnités de chômage, ou pire leurs économies.
RGD : Merci Valérie, d’avoir répondu à nos questions.
Propos recueillis par Rodolphe Galy-Dejean