Suite au suicide d’un gérant CASINO(1), plusieurs parlementaires ont écrit au ministre de l’économie, Bruno Le Maire, pour l’alerter sur les pratiques contestables du groupe de distribution. Les faits exposés de ces lettres(2) font écho à ceux largement commentés dans des articles(3) publiés par MEDIAPART au cours de ces dernières années. Pour mieux comprendre la situation, nous nous sommes rapprochés de l’association « Gérantsencolère » qui a notamment pour but de défendre droits des gérants mandataires non salariés de CASINO, mais pas que …
Franchise-et-transparence.fr : Dans sa lettre au ministre de l’économie pour l’alerter sur les pratiques du groupe CASINO envers ses gérants, le sénateur Eric Bocquet parle d’irrégularités : « (…) au niveau de leur statut, mais aussi dans le fonctionnement même de leurs supérettes (…) ». Pouvez-vous nous en dire plus sur les problèmes que rencontrent les gérants CASINO ?
Gerantsencolère : Les irrégularités de fonctionnement des supérettes CASINO tiennent au fait que le Groupe CASINO réserve l’accès aux données de la gestion des stocks des supérettes au service commercial du groupe. En d’autres termes, les gérants n’ont aucun moyen de suivre les stocks de leur propre magasin. Ce sont donc les équipes du siège qui sont chargées de réaliser les inventaires des magasins CASINO. Ainsi, depuis plusieurs années, les services de CASINO constatent d’énormes « trous» dans les stocks de centaines de magasins dont ils réalisent les inventaires mais sont incapables de fournir la liste des marchandises manquantes empêchant ainsi les gérants de contester les résultats de ces inventaires. Fort de ces constats, CASINO reproche alors aux gérants d’avoir laissé s’accumuler d’énormes « déficits de gestion » dans les comptes de leurs magasins. A la suite de quoi, il procède à la rupture de leur contrat de co-gérance puis leur demande de quitter le logement de fonction mis à leur disposition sous un délai de 2 mois. Par la suite, l’enseigne les assigne en justice pour les faire condamner à lui rembourser ces déficits sur leurs propres deniers. A ce jour et à l’instar des couples Botté (4) et Ravanier (5), plus de 700 couples de gérants sont engagés dans une procédure contre CASINO (6).
Pour ce qui est du statut de gérant mandataire non salarié, un statut à mi-chemin entre celui d’indépendant et celui de salarié, il permet à l’administration fiscale et à CASINO de considérer le gérant comme un commerçant ou comme un salarié selon la situation qui leur est la plus favorable au détriment du gérant. Par exemple, l’aspect salarié du statut permet à CASINO de rémunérer les gérants de 3 à 3,5 euros de l’heure tout en bénéficiant des avantages des dispositifs CICE et FILLON. Dans le même temps, l’aspect commerçant permet au groupe de poursuivre ses gérants devant le tribunal de commerce pour leur réclamer le remboursement des « déficits de gestion ».
A ces problèmes très anciens, s’ajoute depuis peu l’injonction faite par CASINO à 500 gérants de passer en franchise pour continuer à exploiter leur épicerie (7).
Franchise-et-transparence.fr : Et entre les franchisés et CASINO, comment se passent les relations ?
Gerantsencolère : Le problème de gestion des stocks est moins dramatique que pour les gérants, mais il se pose dans les mêmes termes. Un autre problème se situe au niveau du contrat que les candidats signent sans forcément avoir conscience de la portée de certaines clauses. Ce contrat reflète la volonté de l’enseigne de prendre le contrôle des points de vente en réduisant au minimum la liberté et l’autonomie des exploitants. Concrètement, par exemple, le contrat prévoit que CASINO participe au capital de la société franchisée. De prime abord, cette participation apparaît comme un signe positif qui prouve que le franchiseur croit dans la rentabilité de son concept. La réalité est que c’est un moyen pour CASINO d’avoir le dernier mot en ce qui concerne la rémunération du franchisé, le remboursement de son compte courant, le changement d’enseigne, etc.
Face au refus de CASINO de prendre en compte les doléances aussi bien des franchisés que des gérants, nous venons de nous réunir au sein de l’association « Gérantsencolère » pour mieux défendre nos intérêts.
Franchise-et-transparence.fr : Pouvez-vous nous en dire plus sur cette association ?
Gerantsencolère : L’association « Gérantsencolère » est née en janvier 2018 de la volonté commune des franchisés et des gérants mandataires CASINO de partager leurs expériences réseau pour accompagner, conseiller et défendre les métiers de la branche commerce. Bien que l’association soit née des litiges opposant les gérants mandataires à la société CASINO, elle a élargi sa mission aux relations franchisés/franchiseurs pour lutter contre la volonté croissante des têtes de réseaux de prendre le contrôle des politiques commerciales des entités portant leur enseigne. A ce jour, l’association a enregistré près d’une cinquantaine d’adhérents issus des centaines de milliers de travailleurs en FRANCE puisqu’elle a vocation à représenter tous les métiers de la distribution (salariés, directeurs, franchisés) et ce dans tous les domaines du commerce (textiles, alimentaires, multimédia, etc). L’adhésion annuelle est de 5 euros par personne. Notre première action significative a été de saisir la justice pour entamer une procédure pénale à l’encontre de CASINO. Actuellement, le juge enregistre toutes les constitutions de partie civile. Nous invitons donc les gérants, ex-gérants, cautionnaires et salariés des supérettes souffrant ou ayant eu à souffrir des pratiques de CASINO à se rapprocher de nous pour que nous puissions leur donner davantage de détails.
(1) Suicide chez Casino : des «pressions» au cœur du drame ?
(2) Lettre du député Adrien Quatennens – Lettre du sénateur Eric Bocquet – Réponse du ministre de l’industrie Bruno Le Maire au sénateur Eric Bocquet
(3) Dossier : CASINO, le piège des déficits – Article 1 : Ces gérants de supérette étranglés par Casino – Article 2 : Supérettes Casino: la mécanique du piège financier – Article 3 : Face aux gérants Casino, le mur judiciaire / Les déclarations de Casino sont fausses
(4) Petits commerçants face aux géants – Sylvie Botté contre CASINO (3’00 »-17’50 »)
(5) Endettés, Corinne et Ludovic Ravanier risquent de perdre leur maison – La descente aux enfers d’ex-gérants d’une supérette
(6) 700 couples en procédure contre CASINO
(7) Saint-Etienne : les gérants Casino priés de se franchiser