(Mise à jour le 22 mai 2021). S’il faut saluer l’esprit de la loi Doubin qui est de permettre aux futurs franchisés de signer leur contrat de franchise « en connaissance de cause », force est de constater que cette loi est bafouée à de multiples égards par les têtes de réseau qui s’y soustraient en communiquant des informations invérifiables ou encore en dissimulant des informations clés auxquelles les futurs franchisés n’ont aucun moyen d’accéder seuls comme la santé financière du réseau, le taux de réussite des franchisés du réseau et les antécédents judicaires du franchiseur. Certains experts de la franchise déplorent eux aussi ces insuffisances.
J.-B. Gouache : « Une nécessité de davantage modéliser le concept et aboutir les procédures de développement pour le franchiseur » (1)
« (…) Si l’esprit de la loi Doubin est excellent, sa mise en œuvre est sujette à beaucoup plus de critiques, en raison d’une rédaction du texte trop peu précise, au plan de la technique juridique.
(…) La loi Doubin n’a pas atteint tous ses objectifs initiaux. Certes, elle a éloigné les franchiseurs escrocs caricaturaux ne cherchant qu’à encaisser des droits d’entrée. Mais elle permet aujourd’hui à ceux qui maîtrisent ses mécanismes de monter des réseaux dans lesquels il est difficile à un entrepreneur indépendant de gagner de l’argent. Un DIP conforme aux informations exigées ne reflète que de manière parcellaire la santé réelle d’un réseau de distribution (…)
Qu’est-ce qui manque à la loi Doubin ?
– Entrées et sorties d’un réseau : Des informations essentielles ! A commencer par un historique du périmètre du réseau sur trois années (…)
– Marges de vente : D’autre part, les comptes du franchiseur, dont la communication est imposée par la loi Doubin, ne reflètent pas la rentabilité potentielle du franchisé (…)
– Principaux agrégats : C’est pourquoi il faudrait, comme dans le Full Disclosure Act américain, imposer l’obligation au franchiseur de fournir les comptes d’exploitation moyens des franchisés, avec les principaux agrégats – marge commerciale brute, valeur ajoutée, excédent brut d’exploitation, etc.-. Les soldes intermédiaires de gestion sont quasiment normés dans un réseau. Ils sont à communiquer au franchisé, dans le cadre d’un accord de réitération d’un succès. Voilà un axe d’amélioration de la loi Doubin (…)
Conférence sur la loi Doubin – Maître GOUACHE : Video (2)
« Il existait et il existe encore parfois, des incertitudes sur le champ d’application de la loi Doubin (…) [A ce sujet], il manque probablement, dans le texte de la loi, l’exigence d’informations absolument essentielles au projet du franchisé. Pas un mot sur la rentabilité de l’exploitation des franchisés ! La loi Doubin n’oblige en aucun cas les franchiseurs, ou les têtes de réseaux, à communiquer les comptes des franchisés ou au moins, des indicateurs moyens (CA moyen, ratios d’exploitation moyens, soldes intermédiaires de gestion moyens) de telle sorte que finalement, le franchisé à la lecture d’un DIP n’est pas en mesure d’appréhender, en tout cas de manière directe, ces informations qui sont pourtant essentielles (…).
Une autre information qui me semble être insuffisante, c’est que la loi Doubin prescrit la liste des entreprises membres du réseau qui ont quitté celui-ci l’année précédente. Il aurait été probablement préférable, et là, c’est un regret que j’exprime, que la loi Doubin prescrive de délivrer cette information sur une durée plus longue, sur 3 ans, par exemple. On a, là, une bonne idée des causes de ruptures des contrats de distribution. »
Communiqué de presse du Cabinet GOUACHE AVOCATS (3)
« Les manques [de la loi Doubin] : (…) le DIP ne dit pas un mot sur la rentabilité de la franchise et des franchisés : en le lisant, il est impossible de savoir directement si les franchisés du réseau sont rentables. En effet, la loi Doubin oblige le franchiseur à communiquer ses comptes, ce qui est positif puisque le candidat peut ainsi être rassuré sur la solidité du bilan du franchiseur, mais ne l’oblige absolument pas à communiquer sur les ratios d’exploitation de ses franchisés. Or, comme il y des pays riches peuplés de pauvres, il y a des franchiseurs florissants ayant construit des réseaux de franchisés peinant à équilibrer leurs comptes ! »
***
Maître Chaput : « Des améliorations possibles » (4)
« Si la loi, qui pose le principe de l’obligation d’information précontractuelle, ne nous semble pas devoir être remise en cause, elle peut bien évidemment être améliorée. (…) Le décret qui détaille le contenu de l’information qui doit être délivrée, pourrait lui aussi être amélioré. Si l’obligation est parfois inutilement lourde (exemple : obligation de reprendre les principales clauses du contrat, alors que le contrat lui-même est communiqué dans le même délai), elle est parfois, à d’autres égards, insuffisante. Il serait notamment utile que le franchisé ait accès à plus de données, notamment aux chiffres réalisés par les autres membres du réseau et sur l’historique détaillé et dynamique du réseau. En rejoignant un réseau, le franchisé abdique nécessairement une partie de sa liberté d’exploitation, dans la mesure des contraintes que le contrat lui impose. Il est normal que les conséquences, notamment financières, de cette abdication puissent être mesurées avec précision, ce que le candidat distributeur ne peut pas faire si la tête de réseau ne lui communique pas l’information correspondante, qui pourrait parfaitement être organisée dans le respect du secret des affaires. »
***
Maître Meresse pointe certaines nécessités, absentes de la Loi Doubin. (5)
« Qu’est-ce qui manque à la loi Doubin ?
(…) Pour connaître la rentabilité réelle du concept le candidat à la franchise devrait pouvoir accéder aux bilans et comptes de résultats des autres franchisés. Les meilleurs, comme les moins bons ou ceux qui sont dans la moyenne. Les différences de performance dans le réseau doivent s’expliquer de manière objective. Tout comme le turn-over des franchisés, qui est un indice de satisfaction ou d’insatisfaction du réseau. Les départs de franchisés devraient être indiqués sur une durée égale à celle du contrat de franchise.
(…) Le DIP devrait aussi donner des informations sur les prix d’achat et de revente des produits, imposés par le franchiseur, ou sur les marges servies pour bâtir ses comptes prévisionnels. (…) Enfin, le délai de réflexion entre le document d’information précontractuelle et la signature du contrat devrait être de 90 jours. Les 20 jours actuels sont trop courts. »
***
»
Maître Bellet : « Les candidats doivent en avoir conscience et connaître correctement les règles de la loi Doubin, qui est, selon moi, insuffisante et devrait être améliorée. » (6)
« Quand on écoute la Fédération française de la Franchise ou d’autres acteurs, on a l’impression qu’il n’y a que des avantages à devenir franchisé et que c’est forcément gage de réussite. J’alerte juste que ce n’est pas forcément le cas. Il y a de très bons franchiseurs qui font les choses très bien. Mais il y a aussi des réseaux qui font preuve d’amateurisme voire parfois de malhonnêteté. Les candidats doivent en avoir conscience et connaître correctement les règles de la loi Doubin, qui est, selon moi, insuffisante et devrait être améliorée.
La loi Doubin n’est effectivement pas suffisante aujourd’hui. Certes, elle oblige le franchiseur à donner certaines informations aux candidats, mais cela n’est pas assez exhaustif. Par exemple, la loi Doubin n’impose pas que le franchiseur ait testé le concept sur au moins une unité pilote. C’est souvent dans l’usage, mais 98 % des documents d’information précontractuelle (DIP) ne précisent pas cela et ne montrent en rien la rentabilité du concept. Comment expliquer que la loi autorise un développement en franchise sans que le réseau ait validé avec succès sur au minimum une unité ? Sur les comptes sociaux du franchiseur, là aussi la loi est insuffisante.
Quand on regarde les chiffres qui sont communiqués par la tête de réseau dans le DIP, cela ne traduit pas la rentabilité du concept. La loi devrait notamment prévoir que le franchiseur fournisse le chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble des franchisés composant le réseau. Toutes ces données renseignent le candidat sur la rentabilité du concept et lui permettent de faire son prévisionnel en toute connaissance de cause.
La durée du contrat doit être également adaptée. Il y a parfois des franchiseurs qui font signer des contrats de 5 ans alors que c’est trop court pour que le franchisé rentabilise son investissement. Nous estimons que la durée du contrat doit être suffisante afin de permettre au franchisé d’amortir cet investissement et de rembourser ainsi son prêt initial. Enfin, sur le droit d’entrée, il est impensable qu’il ne soit pas en partie remis au franchisé si celui-ci n’ouvre finalement pas son point de vente (soit parce qu’il n’a pas trouvé le bon emplacement, soit parce qu’il n’a pas eu les financements). Majoritairement, une fois que le droit d’entrée est versé, il n’est pas rendu au candidat. C’est inadmissible car le paiement du droit d’entrée implique l’accès à un savoir-faire. Or si le franchisé n’ouvre pas son point de vente, il n’a pas accès à ce dit savoir-faire. » (6)
***
Maître Vernay : « En pratique, le contenu du DIP est souvent insuffisant » (7)
« Même si les informations du DIP sont encadrées (article R.330-1 du Code de commerce), qu’elles doivent être sincères et représenter avec précision la réalité, en pratique le contenu du DIP que le franchiseur est légalement tenu de fournir est souvent insuffisant et, surtout, il n’engage pas le franchiseur sur les résultats annoncés.
Avant de signer le contrat de franchise, le ou la franchisé·e doit donc être particulièrement vigilant·e sur l’état réel du réseau et la rentabilité du concept de la franchise. Il est ainsi conseillé de demander les chiffres d’affaires, les résultats et les ratios de gestion de tous les franchisés du réseau depuis trois ans ou encore l’évolution du nombre de franchisés année après année depuis l’origine avec indication des entrées et des sorties. C’est une question de survie, surtout lorsque l’on investit dans le projet toutes ses économies ! »
– « La loi Doubin n’atteint pas son objectif »
– « La loi Doubin est une pâle copie du Disclosure Act américain »
(1) Interview de Maître Gouache à l’occasion du 20ème anniversaire de la loi Doubin (11 décembre 2009) – https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/franchise/efra-0008225-j-b-gouache-une-necessite-de-davantage-modeliser-le-concept-et-aboutir-les-procedures-de-developpement-pour-le-franchiseur-54791.php
(2) Conférence sur la franchise par maître Gouache (11 mai 2010) – http://www.toute-la-franchise.com/video-202-conference-sur-la-loi-doubin-maitre-gouache.html ou https://www.youtube.com/watch?v=rQfgm7zNBpo, début 1’51 » – fin : 3’53’‘
(3) Communiqué de presse du Cabinet GOUACHE AVOCATS (mai 2010) – https://www.gouache.fr/donnees/articles/pdf/cp_anniversaire_loi_doubin_052010.pdf
(4) Interview de maître Chaput à l’occasion de 20 ans de la loi Doubin (juin 2010) – http://www.racine.eu/wp-content/uploads/2016/11/entreprise-franchise-n8-201006-avec-logo-loi-doubin-frederique-chaput-p34-37.pdf
(5) Interview de Maître Meresse à l’occasion du 20ème anniversaire de la loi Doubin (11 décembre 2009) – https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/franchise/efra-0008197-s-meresse-un-reseau-de-franchise-est-une-sorte-de-copropriete-54938.php
(6) En novembre 2020, dans le Guide de la franchise publié aux Editions Dalloz, l’avocate Charlotte Bellet et l’universitaire Nicolas Dissaux dénoncent les déviances qui existent dans le milieu de la franchise, pointent les insuffisances de la loi Doubin et font des propositions pour l’améliorer. http://officieldelafranchise.fr/actualites/lactualite-vue-par-la-redaction/guide-de-la-franchise-il-y-a-encore-des-reseaux-qui-font-preuve-damateurisme-02032021
(7) chronique de maître Vernay qui met en garde sur le contenu du DIP (19 mars 2021) – https://franchise-concepts.ecoreseau.fr/chroniques/veille-juridique-par-laurence-vernay/2021/03/attention-au-contenu-du-dip-avant-de-se-lancer-dans-la-franchise/