Subway, ce sont 44 000 sandwicheries dans le monde. Le Numéro 1 des fast-food, devant McDonald’s ! Multimillionnaire, Fred de Luca, le fondateur américain de l’enseigne, a basé son succès sur une promesse marketing : les sandwichs Subway, notamment composés de crudités, seraient très peu caloriques. En 2014, la première dame des Etats-Unis, Michelle Obama, s’associait à Subway pour promouvoir sa campagne contre l’obésité.
Mais 50 ans après sa création, l’enseigne traverse quelques turbulences : aux Etats-Unis, une étude universitaire a démontré qu’en pratique, les clients de Subway composaient des sandwichs aussi caloriques qu’un menu complet chez McDonald’s ! Autre souci : la marque surexploiterait ses franchisés. Enfin, Subway aurait mis en place un système d’optimisation fiscale lui permettant de ne payer que très peu d’impôts, notamment en France.
Ce reportage a été diffusé pour la première fois sur Canal+ le lundi 19 Octobre 2015 à 23H00.
Réalisé par Céline Chassé
Montage de Gulian Le Tallec
Spécial Investigation, Canal +
Retrouvez ci-dessous la retranscription des dialogues et commentaires du reportage.
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Introduction
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0 :00
Las Vegas, la ville qui ne dort jamais !
Ce soir-là, dans le plus grand hôtel Casino de la ville …
La convention d’une église évangéliste américaine ? Non. C’est l’anniversaire d’une célèbre enseigne de fast-food.
Pour fêter ses 50 ans, la marque de sandwichs SUBWAY a choisi les fastes du Venitian, un hôtel avec des gondoles, un pont des soupirs, une fausse place Saint-Marc. Je me suis invitée dans ce Venise en carton-pâte.
Céline Chassé (la journaliste qui a réalisé le reportage) arrive au Venitian : « C’est beau, on s’y croirait ! »
A la convention SUBWAY, les journalistes ne sont pas conviés. Alors je me suis procuré un pass d’invité. Je me suis fondue incognito parmi les 6 000 collaborateurs de SUBWAY venus du monde entier.
Ce jour-là, le fondateur de Subway très malade, fait une apparition surprise. Grâce à SUBWAY, l’homme est devenu milliardaire.
Fred Deluca : « Bienvenue au 50ème anniversaire de SUBWAY ! Nous avons aujourd’hui plus de 44 000 restaurants à travers le monde, c’est plus que n’importe quelle autre chaîne de fast-food, et tout ça, c’est grâce au travail d’équipe ! »
Pendant qu’à Las Vegas on célèbre le succès de l’enseigne, …
2 :05
… à Paris, dans le quartier animé de la Bastille, je tombe sur une scène inattendue : une vente aux enchères dans un SUBWAY qui vient de faire faillite. Des commerçants sont venus acheter au rabais tout l’équipement de ce restaurant …
Des déménageurs emportent tout.
Céline Chassé : « C’est quoi tout ça ? »
Un des déménageurs : « C’est une faillite ! »
Céline Chassé : « Et vous déménagez quoi concrètement ? »
Les déménageurs : « Tout le matériel, les vitrines, les fours, tout. Les tables, les chaises, le mobilier. Il n’y a plus de SUBWAY. »
En seulement 6 mois, c’est la 5ème fois que ce déménageur vide un SUBWAY en faillite. Pourquoi autant de restaurants mettent-ils la clé sous la porte ? La réussite affichée à Las Vegas est-elle bien réelle ?
3 :06
En France, en Allemagne, aux USA, j’ai enquêté sur le géant mondial du sandwich. J’ai rencontré des patrons de restaurants en colère contre l’enseigne.
Un ancien franchisé SUBWAY : « J’ai perdu un peu plus de 200 000 euros sur l’ensemble de l’opération SUBWAY. »
Un franchisé SUBWAY : « Je pense que j’ai été berné ! J’ai la rage comme on dit. »
En cause, le contrat qu’ils signent pour travailler avec SUBWAY.
Une avocate spécialisée en droit de la franchise : « Dans le contrat SUBWAY, on a absolument pas l’esprit du partenariat. On a l’impression d’un contrat tiroir-caisse. Vous êtes là pour m’enrichir, vous marchez tant mieux, vous marchez pas tant pis. »
Pendant ce temps, SUBWAY placerait ses bénéfices européens bien au chaud, au Lichtenstein.
Un journaliste financier ayant enquêté sur l’argent de SUBWAY : « Les comptes de SUBWAY montrent que c’est ici qu’arrivent des centaines de millions d’euros chaque année. »
SUBWAY affiche une réussite insolente, mais à quel prix ?
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La fin du mythe diététique de SUBWAY !
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4 :13
L’histoire de SUBWAY débute de l’autre côté de l’Atlantique à une centaine de kilomètres de New-York, dans le Connecticut. C’est ici, qu’en 1965, un étudiant en médecine, Fred Deluca, monte une sandwicherie pour financer ses études. Le concept est révolutionnaire : c’est le client qui compose lui-même son sandwich, tout le contraire de Mac Donald’s avec ses hamburgers tout faits. J’ai testé.
Serveur dans un SUBWAY : « Qu’est-ce que je vous sers ? »
Céline Chassé : « Un pain italien. »
J’ai l’embarras du choix, 6 viandes différentes, 16 sauces, 12 types de crudités.
Céline Chassé : « Mettez-moi des tomates et des oignons. »
Il y aurait 2 millions de combinaisons possibles, l’anti-Mac Do par excellence. Et ça marche !
Chaque jour, l’enseigne vend plus de 7 millions de sandwichs comme celui-ci, 73 par seconde. De la France, aux Etats-Unis, en passant par l’Inde ou même l’Afghanistan, le sandwich SUBWAY a conquis le monde. Avec plus de 44000 restaurants, l’enseigne a détrôné Mac Donald’s.
5:44
Le coup de génie de SUBWAY, avoir inventé, au pays de la malbouffe, un nouveau concept : le sandwich diététique. Rempli de légumes, il ne compterait que 2 à 300 calories et ferait maigrir. C’est ce que jure Jared Fogle, un ancien obèse, devenu le porte-parole de l’enseigne.
Jared Fogle (dans une émission de télévision américaine) : « En montrant ce pantalon, je donne de l’espoir aux gens. Si j’ai pu perdre 110 kilos en mangeant du Subway tous les jours, d’autres peuvent perdre 10 à 30 kilos en faisant comme moi. »
Pour enfoncer le clou, dans ses pubs, SUBWAY s’est offert les plus grands sportifs internationaux, rien que des n°1 : le nageur le plus titré de l’histoire olympique, Michael Phelps, le célèbre basketteur Tony Parker, ou encore Pelé, la légende du football.
6 :58
Les américains que je rencontre à la sortie des SUBWAY sont convaincus.
Un premier client SUBWAY : « Il y a plein de légumes, moi j’adore manger ici. »
Un deuxième client SUBWAY : « Tout est frais chez Subway et il y a beaucoup de choix, ce n’est pas de la malbouffe comme chez Mac Do ou Burger King. »
Un troisième client SUBWAY : « Subway, c’est bon pour nous. »
Un quatrième client SUBWAY : « C’est plein de légumes frais. »
Même la First Lady, Michèle Obama, donne sa bénédiction à SUBWAY. Pour Let’s Move, sa campagne de lutte contre l’obésité infantile, elle choisit l’enseigne comme partenaire.
En janvier 2014, dans un SUBWAY voisin de la Maison Blanche, elle vient faire la promotion du nouveau menu enfant.
Michèle Obama : « Depuis des années, SUBWAY fournit des repas équilibrés, mais aussi simples, avec du goût et pas chers. Pas vrai les parents ? Et aujourd’hui, avec cette nouvelle initiative, SUBWAY, une fois encore, grimpe un échelon pour nous fournir des choix plus sains pour nos familles. Vous êtes prêts à aller manger ? Qui vient avec moi commander un sandwich ? »
Un coup de pub incroyable. Pourtant, SUBWAY ne serait pas plus diététique que Mac Do.
8 :14
C’est ce que révèle un chercheur de l’université de Californie. Les tomates ! Les sportifs dopés au SUBWAY ! Michèle Obama ! Tout ça ne serait que des salades ?
Je pars en Californie rencontrer le chercheur qui a détruit le mythe diététique de SUBWAY. Il s’appelle Leny Lesser (chercheur à l’Université de Los Angeles, UCLA).
Lenny Lesser : « Bonjour ! »
Céline Chassé : « Bonjour, enchantée de vous rencontrer ! »
Lenny Lesser : « Ravi de vous rencontrer, je m’appelle Lenny ! »
Céline Chassé : « Je vous ai ramené un menu SUBWAY et un menu de chez Mac Donald’s. »
Selon lui, les sandwichs types, à 2 ou 300 calories mis en avant par SUBWAY, ne sont pas ceux que consomment les américains.
Lenny Lesser : « Juste parce que SUBWAY propose de la salade et des légumes, les gens pensent que tout est bon pour la santé dans leurs restaurants. Même s’ils servent des boulettes de viande marinées, sans crudité, les gens pensent que c’est sain. Et comme ils ont l’impression de faire un choix diététique en allant chez SUBWAY, ils ont tendance à demander un peu plus de sauce, de fromage et d’accompagnement. »
9 :43
Combien y a-t-il réellement de calories dans les sandwichs des clients ? Pas ceux de la pub, les vrais, ceux que les gens mangent ! SUBWAY n’a jamais communiqué là-dessus.
Alors de retour à Paris, je décide de faire le test avec des consommateurs.
Céline Chassé : « Désolé de vous embêter, est-ce que je pourrais vous racheter votre sandwich ? »
Un client SUBWAY : « Vous êtes sérieuse là ? »
Céline Chassé : « Oui ! »
Le client SUBWAY : « Allez-y ! »
Céline Chassé : « Combien ? »
Le client SUBWAY : « C’est 4,50€ le sandwich. »
Céline Chassé : « OK »
Céline Chassé face à une cliente : « On fait une étude sur les sandwichs des fast-foods pour savoir combien ils contiennent réellement de calories et du coup, j’ai besoin de racheter des menus de gens. Donc merci ! … Combien je vous dois ? …»
Avec une diététicienne, j’autopsie les sandwichs des clients SUBWAY. Ames sensibles s’abstenir !
La diététicienne : « Dans l’ensemble c’est mou quand même ! … 500 gr de sandwich, à mon avis, c’est largement trop, même pour un camionneur. Salami, jambon, bacon et sauce … on explose les compteurs ! »
10 :48
Je fais analyser 3 sandwichs en laboratoire. Verdict, ils font entre 800 et 1000 calories. Quasiment autant qu’un menu complet chez Mac Donald’s. C’est donc ça le régime des champions ?
Aux USA, dans son étude réalisée à bien plus grande échelle, Leny Lesser est arrivé au même résultat.
Lenny Lesser : « On s’est rendu compte que les jeunes achetaient le même nombre de calories chez Mac Do ou chez SUBWAY, environ 1000 calories. Au maximum, ils ne devraient pas consommer plus de 850 calories, même moins, 750. »
On est bien au-delà des 300 calories affichées au menu. SUBWAY participerait donc autant au problème d’obésité que Mac Donald’s. De quoi déprimer l’Amérique !
Le chroniqueur Dave Rubin dans le Rubin Report (émission américaine) :« D’après une étude universitaire, les sandwichs SUBWAY contiendraient plus de glucides, plus de sel et plus de calories qu’on ne le pensait. Est-ce que c’est pas la pire nouvelle qui pouvait arriver aux USA ? Même SUBWAY ! Le seul dont on pensait qu’il était bon pour notre santé, va lui aussi finir par nous tuer ! »
12 :00
Que pense SUBWAY de tout ça ?
Je me rends au siège de l’entreprise à Milford dans le Connecticut.
Le responsable de la communication de SUBWAY a refusé toutes mes demandes d’interview par mail. La raison invoquée est étonnante !
Le responsable de la communication de SUBWAY par mail : « Malheureusement, je ne parle pas français. Je ne serai donc d’aucune utilité pour votre reportage. »
Ce n’est pas la barrière de la langue qui va m’arrêter ! Je me présente à l’entrée du siège.
Céline Chassé : « Bonjour ! Je voudrais rencontrer le responsable de la communication. »
Le gardien des lieux lui annonce ma visite.
Le gardien des lieux : « On dirait qu’il y a un problème. Vous devriez le rappeler pour voir ce qu’il vous dit. »
Céline Chassé : « Il ne veut pas nous voir ? »
Le gardien des lieux : « Non ! »
Après plusieurs tentatives, je finis enfin par le joindre par téléphone. Il refuse catégoriquement mes demandes d’interview.
Céline Chassé : « Pourquoi vous ne voulez pas prendre la parole ? Personne ne souhaite répondre à mes questions devant une caméra ? »
Le responsable de la communication de SUBWAY : « On a choisi de ne répondre que par mail. C’est pour faire mieux passer notre point de vue. »
Céline Chassé : « D’accord, mais ça va être compliqué de communiquer. »
Voici donc comment SUBWAY fait valoir son point de vue.
Question par mail : « Vos sandwichs ne semblent pas aussi diététiques que vous le prétendez. Qu’avez-vous à répondre ? »
Réponse de SUBWAY par mail : « Nous savons que nos clients décident de ce qu’ils mettent dans leurs sandwichs. Pour les aider à faire des choix plus équilibrés, nous leur donnons un maximum d’informations nutritionnelles. »
Pour SUBWAY, si les sandwichs sont trop caloriques, c’est la faute des consommateurs.
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Les franchisés SUBWAY perdent de l’argent
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14 :19
Malgré cette polémique, SUBWAY poursuit sa conquête du monde.
Rien qu’en France, en 2013, 89 SUBWAY ont été ouverts contre seulement 44 Mac Donald’s.
Le secret de cette expansion, un système particulier grâce auquel SUBWAY ouvre des magasins sans presque rien dépenser. Voilà comment ça fonctionne.
SUBWAY loue son nom et son concept de sandwicherie à un entrepreneur, c’est ce que l’on appelle un franchisé. Le ticket d’entrée dans la franchise SUBWAY est très attractif, c’est le moins cher du marché, 10 000 euros.
Ensuite, le franchisé doit monter le magasin à ses frais, quitte à s’endetter auprès des banques. Loyer, travaux, mobilier, il investit en moyenne 200 000 euros.
SUBWAY ne possède donc aucun restaurant, où que ce soit dans le monde, tous sont en franchise.
En France, il y en a 515 [le documentaire a été réalisé entre avril et septembre 2015].
15 :37
Pour interroger SUBWAY sur ce système très particulier, il y a une grande messe chaque année à Paris.
« Donc on arrive au salon de la franchise, c’est le plus grand rendez-vous européen dans le genre. On va voir un peu comment SUBWAY se positionne.»
Depuis 2013, l’enseigne se targue d’être le n°1 de la franchise. Mais sur le stand SUBWAY, bizarrement, la responsable de la communication fait barrage.
Céline Chassé : « C’est vraiment 5 min d’interview … Il n’y a pas quelqu’un qui veut prendre la parole au nom de SUBWAY au salon de la franchise ? »
La responsable communication de SUBWAY : « Non »
Céline Chassé : « C’est quand même absurde ! »
La responsable communication de SUBWAY : « Je sais bien, ça peut paraître absurde, mais je ne peux pas vous donner quelqu’un, c’est ça le problème.»
Le système de franchise, un tabou chez SUBWAY !
16 :41
Pour en savoir plus, je décide d’appeler directement des franchisés.
Céline Chassé : « Bonjour, je suis journalise pour Canal+. J’aurais souhaité vous poser quelques questions sur SUBWAY. »
Premier franchisé SUBWAY : « Le souci, c’est qu’on a des règles de communication externes très strictes. C’est-à-dire qu’il fait d’abord que j’en parle à la franchise. »
Deuxième franchisé SUBWAY : « C’est Canal+ là. On est pas censé parler ! Je vous passe un manager … Je peux vous demander d’appeler Subway France. A mon avis, il y aura plus de possibilités. Moi je ne peux rien faire personnellement.»
Troisième franchisé SUBWAY : « Moi, ça aurait été avec plaisir, mais il ne faut pas que je me mette en porte-à-faux avec Subway. »
Pourquoi une telle parano chez de petits restaurateurs ?
Quelques jours plus tard, je vais comprendre. La direction vient d’envoyer en urgence à tous ses franchisés cette notice :
« SUBWAY, appel ou visite inattendus d’un journaliste
Ne répondez à aucune question du journaliste (même s’il vous amène à la confidence).
Un mode d’emploi pour éconduire les curieux :
« Etape 1 : demandez au journaliste le nom de son média et pourquoi il souhaite vous interroger
Etape 2 : Répondez au journaliste : je ne suis pas en mesure de vous répondre et coupez court. »
18 :00
Les consignes sont strictes, mais en Seine Saint-Denis, j’ai trouvé un franchisé qui a décidé de briser la loi du silence. Il n’a plus rien à perdre.
Céline Chassé : « On part chez Nazaire à Drancy, un franchisé SUBWAY qui est dans une situation extrêmement difficile et qui risque de mettre la clé sous la porte d’ici peu de temps. On va aller voir comment ça se passe et comment il en est arrivé là. »
Son magasin est dans le centre commercial de Drancy en banlieue parisienne.
Nazaire Padonou a 52 ans. Ancien gérant de 2 stations service, il a vendu son affaire il y a 3 ans pour créer un restaurant SUBWAY.
Nazaire Padonou : « En fait, c’est quelque chose que j’ai découvert sur Montréal, quand j’étais de passage là-bas et qui débutait en France. J’ai trouvé que le concept était bon, que les produits étaient agréables, c’est surtout ça qui m’avait plu. C’était nouveau. »
Pour monter ce restaurant, il a investi toutes ses économies, 200 000 euros. Mais depuis le début, son affaire ne marche pas.
Nazaire Padonou : « Il est à peu près 13h30, le service se tasse, il n’y a plus grand monde. On est à peine à 54 transactions. Ca reste une affaire qui n’est pas du tout rentable. Il ne faut pas se voiler la face. C’est vraiment un naufrage. »
19 :35
Naraire est-il une exception ? J’ai posé la question à SUBWAY (par mail).
« Quels sont les revenus nets des franchisés ? et la rentabilité des magasins ? »
(Réponse de SUBWAY par mail) : « Nous ne divulguons pas ces informations »
C’est un peu court !
Je décide d’éplucher les bilans d’autres franchisés SUBWAY en France. Ils sont disponibles sur internet.
Céline Chassé (commentant sa recherche) : «Pour SUBWAY, plus de 500 résultats correspondent à votre requête.»
Beaucoup de franchisés sont dans le rouge. (On voit à l’écran « -38 000 »)
Céline Chassé : « Le suivant, – 43 500 euros. Le suivant, 2013, positif, 3 200 euros sur l’année, c’est pas beaucoup. »
Le résultat auquel je parviens est préoccupant.
Céline Chassé : « Parmi ceux qui ont déposé leurs comptes en 2013, on est à 39% des franchisés qui perdent de l’argent, avec en moyenne 27 823 euros de perte par franchisé. »
Dans le secteur de la restauration rapide, habituellement seuls 10% des franchisés sont dans le rouge, 4 fois moins que chez SUBWAY. Pourquoi les restaurants SUBWAY s’en sortirait-il plus mal que les autres ?
20 :58
La réponse se trouve peut-être dans le contrat que les franchisés signent avec SUBWAY.
Le voici (on voit le contrat à l’écran). Il est impressionnant, il fait 600 pages. A la 20ème page, article 6 : « Les royalties que le franchisé doit verser à SUBWAY en échange de l’utilisation de la marque s’élève à 12,5% du chiffre d’affaires. »
12,5%, c’est beaucoup plus que la concurrence. Chez Pomme de Pain et Brioche Dorée, les royalties sont à 7%, chez Paul, à 6%.
Nazaire a beau perdre de l’argent tous les mois, il est obligé de payer ces royalties.
Nazaire Padonou : « Vous avez une pression permanente »
Céline Chassé : « Et là en ce moment, vous continuez à payer les royalties ? »
Nazaire Padonou : « Oui, dès que vous n’avez pas la possibilité de payer les royalties parce que vous avez trop de charges sur la banque et que le banquier refuse le prélèvement, on vous envoie un recommandé en vous disant, si vous ne payez pas, on vous enlève le titre de franchisé. »
Ce qui revient à mettre la clé sous la porte. Nazaire sait que le dépôt de bilan n’est plus qu’une question de semaines.
22 :18
Un ancien franchisé de la région parisienne, lui aussi, met en cause le montant de ces royalties, Igor, 48 ans.
Ex-agent immobilier, il a ouvert 2 SUBWAY en 2010. Ces restaurants ont toujours été dans le rouge. Il a fini par les revendre l’an dernier.
Igor Villechenoux : « Avant de rentrer chez SUBWAY, j’étais propriétaire de 3 appartements. Un à Nice, un à Boulogne-Billancourt et un qui est ma résidence principale. J’ai vendu les 2 appartements pour financer SUBWAY. J’avais une valorisation patrimoniale de 500 000 euros. Aujourd’hui, j’ai perdu un peu plus de 200 000 euros sur l’ensemble de l’opération SUBWAY. »
D’après lui, un restaurant SUBWAY peut difficilement être rentable.
Igor Villechenoux : « A partir du moment où vous payez 12,5% de royalties, c’est votre bénéfice que vous donnez à SUBWAY. »
Igor pointe du doigt un autre écueil. Contrairement à Mac Do, chez SUBWAY, il faut faire les sandwichs à la demande. Le nombre de salariés est donc bien plus important.
Igor Villechenoux : « Le coût de fonctionnement d’un SUBWAY est tellement élevé, que vous n’avez pas de rentabilité. Une fois que vous avez payé les royalties, une fois que vous avez payé la main d’œuvre, le fonctionnement SUBWAY vous coûte plus de main d’œuvre, tout ça fait qu’à un moment, vous perdez trop d’argent. De toute façon, vous pouvez y mettre toute la rigueur, toute la gestion, tout l’enthousiasme que vous voulez, c’est perdu d’avance. »
23 :56
Une fois que le franchisé est dans le rouge, que peut-il faire ?
Nazaire a lu dans son contrat qu’il avait droit à une assistance. SUBWAY, pour s’occuper des franchisés, a désigné des intermédiaires. On les appelle des agents de développement. Dans le contrat, à l’article 2, page 13, voici leurs obligations vis à vis des franchisés : « Aider à la recherche d’un emplacement, former et apporter une assistance aux franchisés ».
Nazaire, dès les premières difficultés, demande donc de l’aide à son agent de développement. Voici un des nombreux mails qu’il lui envoie, 4 mois seulement après l’ouverture : « Chaque jour qui passe voit les pertes de mon restaurant prendre du volume (…). Il ne faut pas attendre que je tombe pour m’aider (…). Je compte sur toi pour me sortir de ce guêpier. Sinon, ça risque d’être la chronique d’une mort annoncée. »
Nazaire Padonou : « Il n’a jamais répondu. Jamais, jamais. Il n’a jamais répondu. »
25 :11
J’appelle cet agent de développement. L’homme prétend avoir répondu au mail de Nazaire, mais refuse de m’en apporter la preuve.
L’agent de développement : « Mais de toute façon, ces éléments-là, je ne pourrai pas vous les donner. Ils sont confidentiels, ils appartiennent à la marque. Ce sont des choses que je ne pourrai pas vous donner. »
Céline Chassé : « Ils vous appartiennent à vous ces mails, c’est vous qui les avez envoyés ! »
L’agent de développement : « Oui, mais en représentation de SUBWAY, pas en mon nom à moi. Même si c’est moi qui les ai écrits, je ne parle pas en mon nom en fait. »
L’homme se défausse.
25 :43
Pour s’en sortir, Nazaire Padonou a pris une avocate. Elle compte attaquer l’agent de développement pour défaut d’assistance.
L’avocate de Nazaire : « Il aurait dû mettre en garde monsieur Padonou en lui disant : « Vous ne passerez pas. Votre exploitation est déjà dans les choux si j’ose dire. C’est-à-dire, ça ne passera pas, vous ne serez jamais à l’équilibre. »
Céline Chassé : « Et monsieur Padonou, ne pouvait pas s’en apercevoir par lui-même ? »
L’avocate de Nazaire : « Monsieur Padonou venait d’une toute autre planète. Il n’était pas dans la restauration, il s’en est remis effectivement à l’agent de développement. »
26 :24
Certains de ces agents de développement disent que SUBWAY exercent une grosse pression sur eux.
Je me suis procuré un document confidentiels, le contrat signé entre SUBWAY et l’un de ces 16 agents de développement pour la France.
SUBWAY lui impose d’ouvrir 71 restaurants en 6 ans. Le but, monter au moins autant d’établissements que Mac Donald’s. Un ancien agent de développement me confirme que c’est la course à l’ouverture qui prime peu importe la réussite des franchisés.
L’agent de développement : « L’année 1, il en fallait 4. L’année 2, il en fallait 12. L’année 3 … Voilà. Jusqu’à 52 en 7 ans. »
Céline Chassé : « Et si vous n’arriviez pas à ouvrir ces 52 restaurants en 7 ans ? »
L’agent de développement : « L’année 2, je devais en avoir une dizaine et si j’en étais à trois, il y avait 100 dollars d’amende que je devais reverser par mois, par retard de point de vente. Donc, je n’avais pas le choix en fait. »
Céline Chassé : « Quitte à ouvrir dans des endroits qui ne sont pas rentables ? »
L’agent de développement : « Mais oui ! Ils mettent la pression pour arriver à ce que Mac Do a ouvert, c’est tout. C’est comme ça, ils font la chasse à Mac Do, donc ils veulent ouvrir à tout prix. Et après, la rentabilité, c’est au second plan. »
27 :47
Une stratégie radicalement différente du grand rival Mac Donald’s selon Igor.
Igor Villechenoux : « Contrairement à Mac Donald’s, SUBWAY n’a pas de restaurant en propre. Donc ils ne sont pas du tout là pour tester des produits, ils ne sont pas du tout là pour vendre de la nourriture, ils sont là pour vendre des franchises. Ils gagnent de l’argent en vendant des franchises, et peu importe le nombre de restaurants qui ferment, ce qui est important pour eux, c’est le nombre d’ouvertures net. »
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Le contrat SUBWAY, un contrat déséquilibré
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28 :13
Aujourd’hui, de nombreuses voix dénoncent le contrat SUBWAY. Je rends visite à une avocate spécialisée dans la franchise. Ce contrat, elle l’a déjà vu passer plusieurs fois dans son cabinet.
Maitre Charlotte Bellet : « C’est un contrat qui est dangereux, en dehors des clous de la franchise. C’est la raison pour laquelle plusieurs candidats sont venus à mon cabinet pour me demander conseil et je leur ai déconseillé de signer un tel contrat. Pour moi, c’est inacceptable. Dans le contrat SUBWAY, on a absolument pas l’esprit du partenariat. On a l’impression d’un contrat tiroir-caisse. Vous êtes là pour m’enrichir, vous marchez tant mieux, vous marchez pas tant pis. Et tel que le contrat est rédigé, c’est plutôt parti pour que vous ne marchiez pas. On a jamais vu ça. Ca fait 40 ans que le cabinet fait de la franchise, ça fait 20 ans que je fais de la franchise, on a jamais vu un contrat aussi déséquilibré. »
29 :00
Face à ces accusations, que répond SUBWAY France ?
Je me rends au siège de l’enseigne à Cachan, en banlieue parisienne. J’attends son PDG Emmanuel Aublet à la sortie du bâtiment.
Céline Chassé : « Il est là, il sort … Monsieur Aublet ? »
Emmanuel Aublet : « Oui ? »
Céline Chassé : « Bonjour, Céline Chassé. Je suis journaliste pour Canal+. »
Emmanuel Aublet : « Excusez-moi, j’ai un rendez-vous. »
Céline Chassé : « Est-ce que vous pouvez me parler 2 secondes pour répondre à quelques questions ? »
Emmanuel Aublet : « J’ai un petit rendez-vous, je vous prie de m’excuser. »
Céline Chassé : « Oui, mais écoutez-moi deux secondes, j’ai rencontré … »
Emmanuel Aublet : « Bonne journée ! »
Céline Chassé : « Ecoutez-moi, deux secondes. J’ai rencontré plein de franchisés qui vont mal, qui ont des problèmes de rentabilité. Qu’est-ce qui se passe avec les franchisés français qui perdent beaucoup d’argent ? »
Emmanuel Aublet : « Je vous souhaite une bonne journée madame. »
Céline Chassé : « Est-ce qu’il y a un problème avec le système économique de SUBWAY, sur la France ? »
Emmanuel Aublet : « Là encore, je vous souhaite une excellente journée. »
Céline Chassé : « Vous n’avez rien à me répondre là-dessus ? »
Un grand sens de la courtoisie, mais aucune réponse sur le fond.
30 :10
Pourtant, un grain de sable risque d’enrayer les rouages du système SUBWAY : un acteur essentiel a perdu confiance, les banques. C’est ce que m’explique ce courtier spécialisé dans le financement des franchises.
Stéphane Kirsch, courtier en financement professionnel : « Il y a 8 ans, SUBWAY commençait à mettre vraiment mettre le boost sur la France avec une forte politique de développement, des moyens et les banquiers, forcément, ne voulaient pas rater la vague. Sauf que l’on voit que les faillites s’accumulent et c’est de plus en plus difficile. »
40% des affaires SUBWAY qu’il a aidé à financer ont été liquidé depuis.
Stéphane Kirsch : « Dans notre portefeuille clients, c’est vraiment inquiétant. C’est totalement anormal et c’est la seule enseigne sur laquelle on a un tel taux. »
Le courtier ne prend plus de dossier SUBWAY, car d’après lui, la plupart des banques les refusent.
Stéphane Kirsch : « Le nombre de banques qui sont prêtes à financer SUBWAY est finalement assez restreint. »
Céline Chassé : « Le vent a tourné du côté des banques. »
Stéphane Kirsch : « Le vent a tourné … En tout cas, nous l’avons ressenti comme ça ! »
J’ai voulu vérifier, mais aucune banque ne s’exprime ouvertement sur le sujet. En caméra cachée, je me fais passer pour une future franchisée SUBWAY à la recherche d’un prêt.
Premier essai, au LCL.
Céline Chassé (se faisant passer pour une candidate à la franchise SUBWAY) : « Suite à un projet que l’on a avec mon conjoint d’ouvrir une sandwicherie, on est allé au salon de la franchise, on a rencontré les gens de chez SUBWAY, et … »
La chargée d’affaire de la banque LCL : « Je vous arrête tout de suite, on ne fera pas. »
Céline Chassé : « D’accord ! »
La chargée d’affaire de la banque LCL : « On en a certains. Certains ont été financés, mais maintenant, c’est fini. »
Deuxième tentative, à la Société Générale.
Céline Chassé (se faisant passer pour une candidate à la franchise SUBWAY) : « … Et du coup, on s’est renseigné particulièrement auprès de SUBWAY, … »
La chargée d’affaire de la Société Générale : « Oui, donc on ne fera pas. »
Céline Chassé : « Vous ferez pas ? »
La chargée d’affaire de la Société Générale : « Non ! »
Céline Chassé : « Si vous présentez mon dossier ? »
La chargée d’affaire de la Société Générale : « C’est mort ! Ca ne marchera pas … Moi, j’ai ouvert des franchises sans aucun souci … »
Céline Chassé : « Mais pas SUBWAY, non. Et qu’importe notre profil ! »
La chargée d’affaire de la Société Générale : « Même, vous ne seriez pas Mme Chassé, mais Mme Bettencourt, j’aurais le même discours. »
Céline Chassé : « D’accord ! »
A la Bred, SUBWAY n’a pas non plus la cote.
La chargée d’affaire de la Bred: « Grosso modo, leur contrat, je pense qu’il est plutôt en leur faveur qu’en la vôtre. S’il y a un souci, vous vous retrouvez avec vos yeux pour pleurer. Le banquier, ça, il n’aime pas. »
Céline Chassé : « Votre conseil, ce serait quoi ? »
La chargée d’affaire de la Bred: « Mon conseil, ce serait effectivement de chercher d’autres franchises. »
Céline Chassé : « Merci. Au revoir. »
Trois des plus grandes banques françaises refusent de financer les restaurants SUBWAY.
Stéphane Kirsch, courtier en financement professionnel : « C’est sûr que ça devrait mettre la puce à l’oreille des candidats, que l’enseigne qui a le plus de points de vente dans le monde n’ait pas de solution de financement dans toutes les banques françaises. »
32 :58
Il y a un dernier point qui devrait alerter les candidats à la franchise, c’est ce que SUBWAY a prévu en cas de litige. Dans le contrat, c’est écrit ici, dès la première page, en gras : « Tout litige ou désaccord entre vous-même et SUBWAY est soumis à une procédure d’arbitrage ayant lieu à New-York. »
En clair, les tribunaux, français, n’ont pas le droit de régler les conflits entre SUBWAY et ses franchisés français. Tout se passe aux Etats-Unis, devant un arbitre.
C’est ce qui est arrivé à un ex-franchisé SUBWAY de l’est de la France. Il a souhaité garder l’anonymat, nous l’appellerons Denis.
Asphyxié par les dettes pendant 2 mois, Denis a arrêté de payer ses royalties. La réaction de l’enseigne a été immédiate.
Denis : « J’étais dans mon restaurant et j’ai vu un chauffeur Fedex arriver avec son courrier du tribunal arbitral de New-York. Donc je me suis dit, ça y est, c’est parti, ils veulent me tuer. »
Cette lettre, la voici. Elle est rédigée en anglais. Mais Denis ne comprend pas un mot d’anglais.
Céline Chassé : « Et vous en avez reçu beaucoup des Fedex comma ça ? »
Denis : « J’en ai reçu peut-être une vingtaine. Tout un tas de documents exclusivement en anglais auxquels je ne comprenais rien. »
Dans ces courriers, l’enseigne lui annonce qu’une procédure d’arbitrage a été lancée contre lui aux Etats-Unis. Un arbitre a été nommé par SUBWAY pour trancher.
Denis : « On m’a demandé d’avoir une conférence téléphonique avec cet arbitre. Mais ne parlant pas très bien anglais, c’est impossible de se lancer dans une conférence téléphonique avec New-York. »
Céline Chassé : « Et vous, vous avez envisagé ne serait-ce qu’une seconde de prendre un billet d’avion pour aller vous défendre à New-York ? »
Denis : « Evidemment que non ! »
Denis n’a pas les moyens de se défendre aux Etats-Unis. L’arbitre rend sa sentence sans l’avoir entendu. Il le condamne à payer plusieurs dizaines de milliers d’euros à SUBWAY.
L’avocate spécialisée en franchise, Charlotte Bellet, est scandalisée par cette procédure d’arbitrage.
Maitre Charlotte Bellet : « Pour moi, il n’y a qu’un seul intérêt, c’est évidemment empêcher le franchisé de faire valoir ses droits et d’actionner la justice. C’est totalement dissuasif. Un franchisé qui serait mécontent ne peut pas aller réclamer justice à l’arbitrage de New-York sans avoir devant lui des coûts complètement prohibitifs. C’est tellement prohibitif que je serais étonnée qu’un seul franchisé ait déjà saisi l’arbitrage aux Etats-Unis. »
35 :54
Retour aux Etats-Unis. Je vais rencontrer l’un de ces arbitres. Son bureau est à une heure de New-York. Il s’appelle John Pappalardo.
Céline Chassé : « Bonjour, je m’appelle Céline ! »
John Pappalardo : « Comment vous prononcez ? »
Céline Chassé : « C-é-l-i-n-e ! »
John Pappalardo : « C-é-l-i-n-e. Ok, c’est un très joli prénom. Allons-nous installer dans la bibliothèque. »
Céline Chassé : « D’accord, je vous suis. »
Les conflits, il connaît bien. Il est aussi avocat spécialisé dans le divorce.
John Pappalardo : « J’aime plaider au tribunal, c’est amusant, mais ce que je préfère, c’est l’arbitrage. »
Céline Chassé : « Ca fait quoi d’être celui qui décide ? »
John Pappalardo : « J’adore les défis et c’est bon d’être le roi. »
SUBWAY choisit régulièrement John Pappalardo comme arbitre. Il a réglé le cas de franchisés en Europe. Je lui montre l’un des arbitrages qu’il a rendu.
Céline Chassé : « J’ai rencontré un franchisé que vous que vous avez condamné dans un conflit avec SUBWAY. Aujourd’hui, il conteste votre arbitrage car il dit qu’il n’a pas pu se défendre. »
John Pappalardo : « Je ne peux pas faire de commentaire là-dessus. S’il s’est retrouvé en procédure d’arbitrage, il a été traité de façon juste, surtout si c’était moi l’arbitre, mais je ne peux pas faire plus de commentaires. »
Céline Chassé : « Ca ne vous pose pas de problème que l’accusé ne puisse pas venir se défendre ? »
John Pappalardo : « … Ce que je fais, c’est de m’assurer qu’on lui a donné tous les moyens de se défendre. C’est tout ce que je peux faire. Il peut choisir de ne pas se défendre, mais la procédure doit suivre son cours. »
Céline Chassé : « Oui mais le problème, c’est que vos courriers sont en anglais et très souvent, les franchisés français ne comprennent rien. »
John Pappalardo : « C’est essentiel que le franchisé français reçoivent le courrier. Et si c’est en anglais, il n’a qu’à le faire traduire. »
Céline Chassé : « Oui, mais ils ne le font pas. »
John Pappalardo : « Je ne ferai pas de commentaire. »
38 :17
A New-York, un avocat dénonce l’arbitrage, une procédure qu’il estime biaisée. Il s’appelle Paul Steinberg. Il est spécialisé dans la défense des franchisés SUBWAY aux Etats-Unis.
Paul Steinberg : « Si le franchisé ne peut pas faire valoir ses droits, ce contrat ne vaut rien. »
Il ne croit pas à l’impartialité des arbitres.
Paul Steinberg : « SUBWAY a des dizaines de milliers de restaurants. Ils font des arbitrages tous les jours. Ils savent quels arguments fonctionnent, quels arguments ne fonctionnent pas. Ils connaissent le nom des arbitres qui tranchent en leur faveur. Si un arbitre commence à ne plus trancher en leur faveur, et bien SUBWAY ne le choisira plus. »
Céline Chassé : « Avez-vous déjà rencontré un franchisé qui a gagné en arbitrage contre SUBWAY ? » Paul Steinberg : « Non ! »
Céline Chassé : « Vous n’avez jamais entendu parler d’un franchisé qui a gagné ? »
Paul Steinberg : « Non et je pense qui vous aurez du mal à en trouver un ! »
Les sentences d’arbitrage sont confidentielles contrairement aux décisions de justice. Alors impossible de savoir combien de franchisés sont en conflit avec SUBWAY et si certains ont gagné. En tout cas, tous les franchisés SUBWAY du monde sont soumis à l’arbitrage américain. Mais il existe un pays qui a réussi à le remettre en cause, l’Allemagne.
40 :00
Je me rends à Lübeck dans le nord du pays. J’ai rendez-vous avec un ancien franchisé SUBWAY.
Céline Chassé : « Bonjour, je pourrais avoir un sandwich ? »
Dieter : « Bien sûr, qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? »
Dieter a 52 ans. Il y a 4 ans, il rompt avec SUBWAY car il n’arrive pas à gagner sa vie. Il ouvre sa propre sandwicherie, « Fresh ! ».
Céline Chassé : « Ca ressemble beaucoup à SUBWAY ! »
Dieter : « Oui, j’étais franchisé SUBWAY autrefois. Mais j’ai arrêté car je n’étais pas satisfait de leurs services et j’ai monté ma propre affaire. Je dois admettre que le concept est très similaire. »
C’est le même sandwich. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui Dieter gagne de l’argent.
Céline Chassé : « Et maintenant, vous êtes plus rentable ? »
Dieter : « Oui, beaucoup plus rentable ! En partie parce que je n’ai plus à payer de royalties à une enseigne qui ne me rendait aucun service. »
En 2007, Dieter, alors franchisé SUBWAY, découvre qu’il n’est pas le seul à subir le système. Comme lui, 300 franchisés allemands sont dans le rouge.
Dieter : « J’ai réalisé qu’ils avaient les mêmes problèmes que moi. On se rend compte alors que ce n’est pas de votre faute si ça ne marche pas. C’est la faute du système. Alors, on a tous arrêté de payer les royalties à SUBWAY, juste pour les forcer à discuter avec nous. Ca a fait du mal à SUBWAY. Ils nous ont d’abord attaqués aux Etats-Unis. »
SUBWAY gagne en arbitrage aux Etats-Unis, mais Dieter et ses 300 collègues décident de contre-attaquer en Allemagne.
42 :00
Je pars à la rencontre de l’avocat qui les a défendus. Il s’appelle Christian Prasse. Sa stratégie, contester en Allemagne toutes les sentences prises par les arbitres new-yorkais contre les franchisés allemands. Face à lui, SUBWAY sort l’artillerie lourde.
Maître Christian Prasse : « Je pense que SUBWAY a eu recours à 10 cabinets d’avocats différents en Allemagne. Ils ont embauché des gros cabinets internationaux, puis de plus petits cabinets spécialisés. »
Céline Chassé : « Combien ont-ils dépensé en frais de justice en Allemagne ? »
Maître Christian Prasse : « Pour sûr, des millions … oui, des millions ! »
En 2008, pour la première fois de son histoire, le système SUBWAY est mis en échec.
Maître Christian Prasse : « Les tribunaux allemands ont invalidé toute la procédure américaine, car les franchisés n’ont pas les moyens d’aller aux Etats-Unis pour se défendre. C’est tellement essentiel ! »
La bagarre judiciaire dure 6 ans et SUBWAY perd la moitié de ses restaurants en Allemagne. Mais selon Christian Prasse, l’enseigne est loin d’avoir capitulé.
Maître Christian Prasse : « Le système SUBWAY est fait de telle sorte qu’il renaît toujours de ses cendres. Ils parviennent toujours à trouver de nouveaux franchisés qui sont prêts à investir. Et l’histoire se répète encore et encore. »
Céline Chassé : « Donc, quel serait votre conseil pour quelqu’un qui aurait envie de signer chez SUBWAY ? »
Maître Christian Prasse : « Arrêtez tout de suite et tentez plutôt votre chance avec n’importe quelle autre franchise. »
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Le circuit d’optimisation fiscale mis en place par SUBWAY
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43 :48
La dernière clé de la prospérité de SUBWAY en Europe, c’est l’optimisation fiscale. En France par exemple, d’après mes calculs, en 2013, les restaurants SUBWAY ont versé près de 26 millions d’euros de royalties. Pourtant, en épluchant les comptes de SUBWAY France, je découvre que l’entreprise n’a payé que 9 500 euros d’impôt cette année-là. Comment est-ce possible ?
Des milliers de franchisés sont disséminés partout en Europe. Dans chaque pays, il y a une filiale nationale pour les superviser. Mais la maison mère se trouve en Hollande. SUBWAY a mis au point un circuit de l’argent très sophistiqué.
Première étape, les franchisés européens envoient directement leurs royalties en Hollande.
La maison mère reverse ensuite à ses filiales nationales juste ce qu’il leur faut pour rembourser leurs frais de fonctionnement. Elles déclarent ainsi très peu de bénéfices et paient un minimum d’impôt dans chaque pays. En 2013, sur les 214 millions d’euros collectés auprès des franchisés, il reste à SUBWAY 102 millions d’euros de bénéfice net sur lesquels l’enseigne ne va pas non plus payer d’impôt.
Le fisc hollandais ne taxe pas les transferts d’argent hors de ses frontières, du coup, SUBWAY envoie les 102 millions vers un paradis fiscal le Lichtenstein. C’est la troisième étape de ce circuit d’optimisation fiscale. Dans le contrat, j’ai trouvé une adresse au Lichtenstein, celle de SUBWAY Systems International Anstalt, le propriétaire de la marque en Europe.
45 :54
Direction le Lichtenstein. SUBWAY s’est installé à 15km de Vaduz, la capitale, au bout d’une petite route de montagne, dans le village de Triesenberg. J’ai rendez-vous avec Tom Bergin, un journaliste anglais.
Tom Bergin, journaliste anglais de l’agence Reuters : « Bonjour, ravi de vous rencontrer ! Bienvenue au Lichtenstein. »
Céline Chassé : « Merci d’être venu ici ! C’est par là ? »
Tom Bergin : « Oui, c’est là-haut ! »
C’est lui qui a découvert comment SUBWAY échappe au fisc en Europe.
Tom Bergin : « Les comptes de SUBWAY montrent que c’est ici qu’arrivent des centaines de millions d’euros chaque année. C’est une somme énorme pour un petit village modeste des Alpes. »
Ensemble, nous cherchons le QG de SUBWAY au Lichtenstein. Bizarrement, personne ne sait que SUBWAY a élu domicile ici.
Céline Chassé aperçoit deux jeunes filles : « Ah, des locaux ! »
Tom Bergin : « Ils connaissent peut-être SUBWAY ! »
Céline Chassé : « Bonjour ! Vous savez où est SUBWAY ici ? »
Les deux jeunes filles : « Oui, à Vaduz. »
Céline Chassé : « Ah dans la capitale ! Mais ici à Triesenberg ? »
Les deux jeunes filles : « Non. »
Céline Chassé : « Pourtant, il paraît qu’il y a le QG de SUBWAY ici ! »
Les deux jeunes filles : « Non. »
Nous finissons par trouver l’adresse indiquée sur le contrat.
Tom Bergin : « Ca pourrait être ici. On dirait qu’il y a une plaque sur le mur ! … Oui, c’est ici parfait ! »
Rien à voir avec les habituels buildings des multinationales, le QG de SUBWAY, c’est ce chalet bucolique. De prime abord, l’activité n’y est pas vraiment trépidante, personne ne répond.
Céline Chassé : « Je vois des sculptures, des peintures … c’est très joli ! »
Tom Bergin : « C’est une endroit sympa pour travailler … si quelqu’un travaille ici ! »
Céline Chassé : « Ca ne ressemble pas à un bureau … c’est juste une maison avec une machine, du linge qui sèche, une chambre … »
Pourtant, sur la plaque d’entrée, il y a le nom d’une société, Eurofirm Trust.
Tom Bergin : « J’ai un numéro là, on pourrait essayer de les appeler. »
Céline Chassé compose le numéro … quelqu’un décroche : « Bonjour, vous êtes Eurofirm ? »
La personne qui a décroché : « Oui, c’est ça ! »
Céline Chassé : « Je cherche le QG de SUBWAY. »
La personne qui a décroché : « Vous êtes à Triesenberg en ce moment ? »
Céline Chassé : « Oui. »
La personne qui a décroché : « Mais pourquoi vous cherchez notre siège ? Vous êtes un client ? Qu’est-ce que vous voulez ? »
Céline Chassé : « Non, je suis journaliste. »
La personne qui a décroché : « On ne peut pas donner d’information aux journalistes. »
Céline Chassé : « Au moins, c’est bien SUBWAY ! »
Tom Bergin : « Oui, mais ils n’ont pas l’air d’avoir envie de parler. »
Grâce à cette adresse, l’entreprise ne paye aucun impôt sur les 102 millions d’euros qui arrivent ici. Impossible de savoir où s’évapore ensuite l’argent.
Tom Bergin : « Le système SUBWAY est très opaque. C’est à cause de la structure même de l’entreprise. SUBWAY n’est pas coté en bourse et n’a pas l’obligation de publier des informations financières. On a une bien plus faible compréhension de ce qui se passe à l’intérieur de SUBWAY, comparé à Mac Do ou Burger King. »
Contrairement à ses deux principaux concurrents, SUBWAY est une société familiale. Elle n’a donc de compte à rendre à personne.
50 :00
A Las Vegas, je vais questionner une dernière fois les dirigeants. Suzanne Greco, la sœur du fondateur, dirige désormais la multinationale. A la fin de son discours, je tente ma chance. Mon caméraman filme de loin.
Céline Chassé : « Bonjour, je suis Céline, une journaliste française. »
Suzanne Greco : « Vous êtes qui ? Vous êtes une franchisée ? »
Céline Chassé : « Non, je suis journaliste. »
Suzanne Greco : « Je ne parle pas aux journalistes. Je suis désolée. »
Suzanne Greco s’adressant aux vigiles : « Cette personne n’est pas autorisée à être ici. »
Un vigile : « Vous devez sortir par là … vous devez aller par là. »
Le responsable de la communication me répondra finalement par mail : « SUBWAY est en conformité avec toutes les lois fiscales européennes depuis l’ouverture de notre premier point de vente au Portugal en 1992. »
Un montage fiscal dans les règles mais qui est dans le collimateur de la Commission Européenne. Elle a promis de s’attaquer à l’optimisation fiscale pratiquée par de grandes entreprises comme SUBWAY en 2016.
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Conclusion
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51 :11
Franchisés, consommateurs, fisc, journalistes, Subway fait illusion auprès de tous. Depuis que vous regardez ce reportage, l’enseigne a réussi à vous vendre près de 250 000 sandwichs à travers le monde, 200 millions de calories et pendant ce temps, SUBWAY continue son expansion.