Publié le 5 septembre 2020.
Selon la Fédération Française de la Franchise, le taux de réussite des entreprises franchisées est beaucoup plus important que celui des entreprises indépendantes et cet argument constitue le premier attrait de la franchise. Pour l’International Franchise Association, cet argument est trompeur et de nature à induire les futurs franchisés en erreur. Après enquête, il s’avère n’être étayé par aucune étude et au contraire, démenti par plusieurs études indépendantes.
I – Un argument objet d’un matraquage médiatique intense qui lui a conféré le statut de vérité
Taux de survie très supérieur au taux de réussite des entrepreneurs isolés, taux de réussite compris entre 70% et 90%, doublement des chances de succès, réduction importantes des risques d’échec, … les expressions vantant le caractère sécurisé de la franchise sont aussi nombreuses que variées. Matraqué depuis plusieurs décennies, cet argument a fini par imposer une évidence : pour monsieur tout-le-monde, créer son entreprise en franchise revient à prendre beaucoup moins de risques qu’en la créant ex-nihilo.
Consulter la liste non exhaustive des déclarations contribuant à répandre l’idée fausse selon laquelle créer une entreprise en franchise serait très peu risqué
II. Un argument qui ne repose sur aucune étude
II.a – « les chiffres sur les échecs en franchise ont été créés, détournés, exploités abusivement et manipulés«
Nous avons retrouvé le mémorandum rédigé dans le cadre des auditions menées par la Commission de la Chambre des Représentants chargée des petites entreprises qui s’est réunie à l’occasion du 102ème Congrès des Etats-Unis en 1992. Cette note présente une analyse objective de l’état des informations disponibles sur les performances des franchiseurs et des franchisés à cette date et s’attarde notamment sur l’origine du taux de réussite en franchise.
En voici quelques extraits :
(…), « malgré le manque de statistiques fiables, on entend dans les conférences et on lit dans la presse de nombreuses déclarations sur les échecs en franchise, et en particulier, sur le faible taux d’échec des franchisés ». Et les auteurs de conclure « (…) il apparaît que les chiffres sur les échecs en franchise ont été créés, détournés, exploités abusivement et manipulés ».
(…) L’éditeur d’un guide sur la franchise constate que « les données disponibles sur le succès des franchisés sont manifestement erronées, détournées, orientées et devraient être actualisées et corrigées avec soin » (Bond)
(…) Ces taux ont également été employés avec beaucoup d’efficacité pour dissimuler l’absence de données objectives et fiables sur les échecs en franchise. Ils ont permis au secteur de revendiquer un taux élevé de réussite sans rencontrer aucune objection et aux franchiseurs d’afficher un faible taux d’échec dans leurs documents marketing « alors que le taux d’échec de leurs propres franchisés étaient bien plus élevé » (Rager).
(…) Bien qu’elle soit communément admise, l’idée que le taux de réussite des entreprises franchisées est beaucoup plus élevé que celui des entreprises isolées ne repose sur aucune étude sérieuse. L’examen des recherches disponibles sur les échecs en franchise par Walker et Cross a révélé d’une part « l’utilisation abusive et répandue de termes tels que échec et turnover » et d’autre part que « les statistiques habituellement utilisées étaient basées sur des informations non confirmées ou issues de méthodes d’évaluation contestables ». Les chercheurs ont conclu « qu’il n’était pas possible de déterminer de manière indiscutable si le taux d’échec des franchisés était plus faible (ou plus élevé) que celui des entrepreneurs isolés » (Walker & Cross).
Consulter une traduction du mémorandum
Consulter l’intégralité du rapport de la commission (la note de service traduite ci-dessous figure en page 142).
II.b – Des études statistiques interrompues en 1987, qui seraient à la source … mais qui en fait n’y sont pas
En 2005, l’IFA, par la voix de son président, Matthew Shay, a déclaré que les études qui auraient permis d’établir que « le taux de réussite des entreprises franchisées est beaucoup plus élevé que celui des entreprises isolées » avaient été menées jusqu’en 1987 par le Ministère du Commerce américain. On soulignera que si ces études ont bien été interrompues en 1987, elles n’ont, selon le mémorandum présenté à l’alinéa précédent, jamais traité de la supériorité du taux de réussite des entreprises franchisées sur celui des entreprises isolées, et encore moins démontré cette supériorité.
Consulter une traduction de la lettre du président de l’IFA
Consulter la lettre de Matthew Shay
II.c – Interpellée à plusieurs reprises, la Fédération Française de la Franchise n’a jamais démenti le caractère mensonger de cet argument
En décembre 2010, à l’occasion de nos premières recherches sur l’origine de cet argument et de la publication d’articles sur son caractère douteux, nous avions demandé à la FFF son avis. En vain !
En août 2017, nous avons a nouveau interpellé la FFF et lui avons adressé plusieurs questions sur le sujet. Nous n’avons jamais reçu de réponse.
II.d – Les spécialistes de la franchise concèdent ne connaître aucune étude
Lors de la préparation de cet article, nous avons questionné plusieurs spécialistes de la franchise sur le sujet. Très rares sont ceux qui ont répondu, et nous les en remercions.
Le site Toute-la-franchise.com a notamment déclaré : « Il n’existe pas réellement d’étude sur le taux de réussite des entrepreneurs franchisés ».
Les autres spécialistes ont déclaré ne pas avoir connaissance d’étude sur le sujet et avouer que leur certitude sur le risque plus faible à investir en franchise reposait sur leur expérience personnelle.
III – Un argument démenti par plusieurs chercheurs et organismes indépendants
III.a – Le point de vue de Timothy Bates, 1994
Titre de l’étude : Les entreprises franchisées ont un taux de défaillance supérieur à celui des entreprises indépendantes
Extrait : « En choisissant de devenir franchisé, les entrepreneurs en herbe s’attendent avec certitude à accroître leurs chances de survie au cours des premières années d’activité. Rejoindre un réseau de franchise permet aux franchisés de bénéficier de l’assistance de la tête de réseau, de mobiliser des financements et de vendre plus facilement en utilisant la marque du franchiseur. La présente étude s’intéresse aux modèles de survie des entreprises franchisées et non-franchisées créées de 1984 à 1987 et suit leur évolution jusqu’en 1991. Malgré les effets d’échelle et leur meilleure capitalisation, les entreprises franchisées s’avèrent avoir une rentabilité plus faible et des perspectives de survie moins bonnes que celles des entreprises indépendantes. »
Consulter l’étude en langue anglaise
Consulter une traduction des principaux passages de cette étude
III.b – Le point de vue de la Small Business Administration, 2002
Titre de l’étude : Les entrepreneurs franchisés ont plus de difficultés que les entrepreneurs isolés à rembourser leurs emprunts
Extrait : « Il existe en franchise une opinion très largement répandue qui veut que les franchisés réussissent beaucoup mieux que les entrepreneurs indépendants. La SBA, compte tenu de son expérience en matière de prêts non remboursés, ne cautionne pas cette opinion. »
Consulter l’étude en langue anglaise
Consulter une traduction des principaux passages de cette étude
III.c – Le point de vue de Blair et Lafontaine, 2005
« Beaucoup d’idées fausses circulent sur la franchise aux États-Unis comme à l’étranger. De notre point de vue, ces idées fausses se perpétuent parce que les gens les diffusent sans les analyser, sans y réfléchir vraiment, sans les critiquer, en se fiant à leurs seules impressions. » Ainsi commence le chapitre de The Economics of Franchising consacré aux idées fausses sur la franchise et intitulé « Quatre idées fausses très répandues sur la franchise ». Par la suite, les auteurs commentent les créations et disparitions d’entreprises franchiseurs franchisés : « Les données montrent que beaucoup de sociétés se lancent chaque année dans la franchise, phénomène très commenté par la presse spécialisée. Mais par ailleurs nombre d’entre elles quittent la franchise ou déposent le bilan, ce qui fait l’objet de beaucoup moins de commentaires. En ce qui concerne les franchisés, nous constatons que l’idée selon laquelle se lancer en franchise serait beaucoup moins risqué que de créer son entreprise ex-nihilo n’est pas confirmée par les statistiques ».
Consulter la présentation du livre « The Economics of Franchisinge »
Consulter les premières lignes du chapitre « 2 – Four Popular Misconceptions about Franchising »
III.e – Le point de vue du Ministère des Finances et de l’Industrie, 2008
PME/TPE en bref, n°37 novembre 2008
« Investir en réseau n’influe pas sur les chances de survie à trois ans. (…) Les investissements initiaux importants et les caractéristiques du créateur expliquent cette meilleure survie, il ne s’agit pas d’un effet propre de la franchise. »
NB : selon l’étude de Bercy, ce sont le niveau des investissements initiaux et les caractéristiques du créateur qui ont un effet sur la survie des entreprises et non le fait de reproduire un concept éprouvé. En 1992, ces facteurs avaient déjà été mis en évidence comme on peut le lire dans le mémorandum présenté à l’alinéa II.a :
« Les recherches menées par English et Willems sur le taux d’échec dans la restauration n’ont pas non plus permis d’étayer la nette supériorité du taux de réussite des restaurants franchisés sur celui des restaurants non-franchisés. Lorsque les chercheurs ont constaté des taux de réussite initiaux plus élevés parmi les franchisés, ils ont généralement remarqué que ce phénomène était lié à d’autres facteurs, comme le niveau plus élevé de capitalisation initiale et de dépenses de publicité, niveaux souvent imposés aux franchisés. Ils concluent que ces « autres facteurs influent davantage sur le taux de réussite que la réplication d’un concept de franchise » (English & Willems)« .
Consulter l’étude de la DCASPL
III.f – Le point de vue de Boulay et Chanut, 2010
Les réseaux de franchise, Editions La Découverte, p. 32
« Les analyses de survie de la franchise battent en brèche l’idée reçue selon laquelle la franchise représente un mode de développement plus sûr que de se lancer dans un commerce isolé. »
Consulter les premières lignes du chapitre « I. Définitions et chiffres clés »
IV – Un argument qui néglige les effets de l’opportunisme et de l’amateurisme des franchiseurs
Si plusieurs facteurs contribuent, théoriquement, à augmenter le taux de survie en franchise, deux facteurs contribuent à le faire baisser.
IV.a – Les facteurs théoriquement réducteurs de risque, qui influencent positivement le taux de survie en franchise
En théorie, investir en franchise, revient à bénéficier de nombreux leviers permettant de minimiser les risques d’échecs :
– la notoriété de l’enseigne
– le gain de temps qui permet de ne pas partir de 0
– le côté clé-en-main du concept qui permet d’aller vite
– l’assistance à l’ouverture puis l’accompagnement de la tête de réseau
– la formation initiale et la formation continue
– le partage d’expérience avec ses pairs
– la centrale d’achat ou de référencement
– la nécessité pour le franchiseur de faire en sorte que ses franchisés réussissent pour réussir lui-même
– etc
Le fait est qu’il arrive (souvent ?) que certains de ces avantages n’ont d’avantageux que le nom. Comme le montre l’article de Mediapart publié en 2013 à propos de la centrale d’achat de Casino :
« Tous les jours, Ara Apinian monte dans son 4×4, traverse une bonne partie de Marseille, et va faire les courses. Tous les jours, trois ou quatre fois par jour. Et à chaque fois, il remplit jusqu’à la gueule son véhicule. L’homme n’est pas père de famille nombreuse ; il est… gérant de supérette, sous l’enseigne Spar (groupe Casino). Et s’il est contraint de se ravitailler au Géant de la Valentine, qui appartient au même groupe Casino, c’est que les prix de gros auxquels il a droit via la centrale d’achat Casino sont prohibitifs.
Acheter dans les règles, selon les termes du contrat qui le lie au groupe, revient à débourser, hors taxe, plus que ce que le consommateur lambda paye aux caisses des gros supermarchés et des hypermarchés du groupe. Parfois 30 ou 40 % de plus ! » Lire la suite … (avec l’aimable autorisation de son auteur, Dan Israel)
IV.b – Les facteurs qui impactent négativement le taux de survie en franchise
IV.b.1 – L’opportunisme et les déviances comportementales des franchiseurs
Williamson (économiste américain) définit l’opportunisme comme « une recherche d’intérêt personnel qui comporte la notion de tromperie ». Il distingue l’opportunisme ex ante, qui est une volonté délibérée de tromper son partenaire avant la signature du contrat (en occultant certaines informations, en donnant des informations erronées, …) et l’opportunisme ex post, qui se limite à profiter des espaces de flou laissés par le contrat pour adopter une attitude honnête, mais non équitable (appropriation d’une plus grande partie du profit, au détriment du cocontractant).
La loi Doubin avait pour objectif de limiter les comportements opportunistes des franchiseurs. Incontestablement, elle a, par exemple, permis de réduire de manière drastique les réseaux qui proposaient aux franchisés d’investir dans des marques qu’ils ne possédaient pas. En revanche, elle continue de leur permettre d’entretenir l’illusion que leur concept est rentable alors qu’il ne l’est pas.
Quelques liens vers des études traitant de l’opportunisme des têtes de réseau :
– Les déviances comportementales du franchiseur (page 47)
– Les comportements opportunistes du franchiseur: étude du droit civil et du droit international uniforme
– La franchise et les contrats incomplets : des relations problématiques
De notre point de vue le comportement opportuniste le plus dommageable aux candidats à la franchise intervient dans la phase précontractuelle : il consiste pour les franchiseurs à ne pas informer leurs futurs partenaires ni sur leur propre taux de réussite, ni sur les performances financières de leurs franchisés. Ils entretiennent ainsi dans l’esprit des futurs franchisés l’illusion d’un taux de réussite conforme à celui du secteur et d’un concept rentable qui ne l’est pas.
IV.b.2 – L’amateurisme et l’incompétence des franchiseurs
Faire grandir et animer un réseau est un métier qui nécessite de respecter des règles comme par exemple :
– tester son concept dans plusieurs entreprises, sur plusieurs marchés pour s’assurer de la rentabilité de chacune avant de le proposer à des franchisés,
– formaliser le concept et les procédures permettant de le reproduire,
– mettre en place un tableau de bord pour suivre rigoureusement les résultats de chacun des franchisés et comprendre les échecs,
– identifier les compétences des franchisés qui réussissent,
– mettre en place un tableau de bord pour suivre rigoureusement l’évolution et les performances de leurs franchisés
Malheureusement, de nombreux franchiseurs négligent ces règles voyant dans la franchise un moyen simple gagner de l’argent, fusse au détriment de leurs partenaires.
V – Pourquoi cet argument est-il trompeur ?
6 raisons plaident en faveur du caractère trompeur de cet argument :
1/ Il a pour objectif d’attirer les créateurs d’entreprise vers la franchise et de les inciter à investir dans un concept de franchise
2/ En 2005, le président de l’IFA a déclaré qu’il était basé sur des « informations désuètes et potentiellement trompeuses » et qu’il pourrait « induire en erreur les futurs franchisés qui tentent de mener des enquêtes sérieuses »
3/ Il dissimule des résultats établis par plusieurs chercheurs et organismes indépendants (cf III)
4/ En étant relayé par de nombreuses autorités, cet argument conforte la perception des candidats en lui donnant une caution scientifique imméritée : « Ce triptyque « concept/savoir-faire/assistance » est perçu par ceux qui souhaitent devenir leur propre patron comme le moyen de limiter le risque d’échec inhérent à tout projet de création d’entreprise [Withane, 1991] » (page 52, Les réseaux de franchise, Editions La Découverte, Jacques Boulet et Odile Chanut)
5/ Il donne un sentiment d’uniformité et de quasi-garantie qui n’existe pas plus. En effet, affirmer qu’un taux de réussite en franchise est de 80% équivaut à dire que dans plus de la moitié des réseaux, le taux de réussite est de 100%. C’est ce qui est très bien exprimé dans le mémorandum présenté à l’alinéa II.a :
(…) Ces trois taux de réussite sont utilisés séparément ou de manière combinée pour présenter la franchise comme permettant de réussir uniformément et quasiment sans risque. Selon un analyste, ces chiffres sont utilisés « pour dire aux candidats à la franchise que la franchise est un bon investissement … que les chances d’être toujours en activité cinq ans plus tard sont très élevées en franchise » ( English & Willems).
(…) Tout ça permet au secteur de la franchise d’utiliser cette statistique très persuasive pour faire croire au public en général et aux candidats à la franchise en particulier, que « le succès est presque garanti quand on crée une entreprise en franchise » (Bond).
6/ Certaines de ses versions utilisent une sémantique insidieuse qui présente le « taux de survie » des entreprises franchisées comme étant un « taux de réussite » !!!
VI. Conclusion
Les candidats à la franchise sont d’autant plus démunis devant le caractère trompeur de cet argument que les informations précontractuelles obligatoires en franchise ne leur permettent pas ni de connaître, ni d’évaluer le taux de réussite des franchisés du réseau dans lequel ils envisagent d’investir. C’est la raison pour laquelle nous militons activement pour faire évoluer la réglementation qui encadre ces informations et qu’elles permettent aux futurs franchisés d’évaluer par eux-mêmes le taux de réussite des franchisés des réseaux qui les intéressent.
Par ailleurs, en l’état actuel des connaissances sur les échecs en franchise, on peut légitimement se poser les questions suivantes :
Quelle responsabilité la FFF prend-elle en incitant les entrepreneurs à investir en franchise sur la base d’un argument qui jusqu’à preuve du contraire, est faux ?
A l’heure où le professeur Raoult est accusé d’avoir fait la promotion d’un traitement contre le Covid-19 dont l’efficacité n’a pas été prouvée, on peut s’interroger sur la responsabilité de la FFF qui, pour inciter les entrepreneurs à investir en franchise, affirme que la création d’entreprise en réseau est beaucoup moins risquée qu’une création d’entreprise ex-nihilo alors que plusieurs études indépendantes ont montré que cet argument était faux.
Les spécialistes de la franchise n’introduisent-ils pas un biais d’autorité en répétant à l’envie que créer une entreprise en franchise est beaucoup moins risqué que de créer la même entreprise sans s’adosser à un réseau ?
En effet, lorsque nous prenons une décision, le biais d’autorité est notre tendance à surévaluer la valeur de l’opinion d’une personne considérée comme faisant autorité sur un sujet donné. En l’occurrence, cet argument induit chez le candidat à la franchise la pensée suivante : « Les spécialistes de la franchise certifient qu’investir dans une franchise est très peu risqué. Le franchiseur qui m’intéresse ne fait l’objet d’aucune réserve de la part de ces spécialistes. J’ai donc toute raison de penser que ce franchiseur est digne de confiance et que son concept est aussi sécurisé que le prétendent les spécialistes. »